FRANCOPRESSE (ANALYSE) – La colère gronde dans l’Acadie du Nouveau-Brunswick. Le premier ministre Blaine Higgs a nommé cette semaine l’un de ses ministres, Kris Austin, à un comité spécial responsable d’examiner et de proposer des changements à la Loi sur les langues officielles de la province.

Marc Poirier – Francopresse

Piquée sur le vif, la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB) a réagi le jour même, affirmant que Blaine Higgs « brûle volontairement les ponts avec la communauté acadienne ».

Le président de l’Association francophone des municipalités du Nouveau-Brunswick (AFMNB), Yvon Godin, est allé dans le même sens : « Je ne pensais pas que l’on puisse descendre plus bas en termes d’estime de la communauté francophone et acadienne », a-t-il indiqué dans un communiqué.

Les réactions politiques ne se sont pas fait attendre non plus. Pour la cheffe du Parti libéral provincial, Susan Holt, il s’agit d’un « gros doigt d’honneur aux communautés francophones. »

« En tant qu’Acadienne et francophone », la ministre fédérale des Langues officielles et députée libérale de Moncton-Riverview-Dieppe, Ginette Petitpas Taylor, a reçu cette nomination comme une insulte. Sur Twitter, elle a qualifié le geste d’« affront aux francophones et Acadiens du Nouveau-Brunswick ».

La ministre Petitpas Taylor et ses cinq collègues députés libéraux fédéraux de la province ont également acheminé une lettre au premier ministre Higgs lui demandant de retirer le ministre Austin du comité de révision.

Le premier ministre Justin Trudeau s’est aussi prononcé. De passage au Nouveau-Brunswick, plus tôt cette semaine, il a affirmé que la nomination de Kris Austin à ce comité n’avait « aucun sens ».

Joint par Francopresse, le président de la SANB a admis que le « lien de confiance qui existe entre le premier ministre et la société civile acadienne ne tient que par un fil ». En 10 ans d’engagement dans le milieu associatif, Alexandre Cédric Doucet dit n’avoir jamais vu une si grande frustration dans la communauté.

Kris Austin, un loup dans la bergerie

Kris Austin est l’ancien chef et fondateur de la People’s Alliance du Nouveau-Brunswick, un parti qui s’est toujours montré hostile envers les droits linguistiques des francophones de la province.

La plateforme électorale de la formation, en 2018, appelait à l’élimination de la dualité au sein du gouvernement, à la fusion du réseau de santé francophone avec le réseau anglophone en une seule entité bilingue, à la fin au service d’autobus scolaire séparé sur des bases linguistiques et, enfin, à l’abolition du Commissariat aux langues officielles de la province.

En 2018, Kris Austin est élu député, de même que deux autres candidats de son parti. L’appui du People’s Alliance au nouveau gouvernement progressiste-conservateur minoritaire dirigé par Blaine Higgs permet à ce dernier de rester en vie pendant deux ans.

Aux élections de 2020, la People’s Alliance est réduite à deux députés, dont Kris Austin. Le parti est un peu en déroute. En mars 2022, Blaine Higgs accepte d’accueillir dans son caucus les deux députés alliancistes, à la consternation de la communauté acadienne.

Celle-ci sera estomaquée lorsqu’en octobre dernier, Austin fait son entrée au Cabinet en tant que ministre de la Sécurité publique.

Kris Austin est l’ancien chef de la People’s Alliance. (Photo : Alexandre Boudreau – Acadie Nouvelle)

Le lourd passé linguistique de Blaine Higgs

La méfiance des Acadiens du Nouveau-Brunswick envers le premier ministre remonte à plusieurs années, en raison de son passé « linguistique ». En 1985, Blaine Higgs avait déposé un mémoire au Comité consultatif sur les langues officielles dans lequel il dénonçait « les fantaisies irréalistes des droits linguistiques ».

En 1989, l’actuel premier ministre était candidat à la direction du nouveau Parti Confederation of Regions (COR). Préconisant l’anglais comme seule langue officielle, Blaine Higgs s’est toutefois désisté de la course, alors que le COR devait ensuite former l’opposition officielle avant de s’autodétruire.

Quatre ans plus tôt, en 1985, Blaine Higgs montrait ses couleurs. Dans une présentation à titre personnel à un comité chargé d’examiner des améliorations au bilinguisme officiel de la province, voici ce qu’il préconisait :

  • Demander à la population du Nouveau-Brunswick par référendum si l’anglais devrait être la seule langue officielle.
  • Que le gouvernement ne soutienne qu’une culture et « cette culture est canadienne », ainsi qu’une seule langue, soit l’anglais.
  • Mettre sur pied un programme afin d’apprendre l’anglais à la minorité de francophones unilingues « afin qu’ils puissent communiquer avec les institutions gouvernementales ». (Traduction libre)
  • Remplacer le programme d’immersion française par un programme de français amélioré pour l’ensemble des élèves anglophones. 

Blaine Higgs a affirmé par la suite que son engagement en politique et sa meilleure connaissance de la province l’ont fait changer d’idée.

Mais, depuis qu’il est premier ministre, Blaine Higgs a multiplié les gestes et les commentaires qui ont attisé cette méfiance de la société acadienne. Méfiance qui s’est manifestée lors des élections de 2018 et de 2020, alors que le Parti progressiste-conservateur n’a fait élire qu’un seul député francophone par élection.

Higgs persiste et signe

Cette semaine, Blaine Higgs s’est plaint que le Commissariat aux langues officielles était « très négatif » et se demandait « à quel point ça offre une façon significative d’avancer ».

Higgs n’est pas le premier à tenir un tel discours. Son prédécesseur, le libéral Brian Gallant, avait fait de même à l’endroit du Commissariat.

Mais Blaine Higgs est allé plus loin en semblant évoquer un remplacement du Commissariat par un nouveau secrétariat interne des langues officielles, ce qu’il a nié par la suite.

« Chaque jour de plus que Blaine Higgs est premier ministre, c’est une journée de plus où il risque de mettre de l’huile sur le feu », souligne le président de la SANB. Alexandre Doucet ajoute que la contestation et la pression monteront d’un cran la semaine prochaine.