C’est un coup de pouce qui tombe au bon moment pour les apiculteurs manitobains. En effet, l’industrie apicole du Manitoba a connu des pertes élevées au cours de l’hiver 2021-2022. Au Manitoba, ces pertes sont estimées à 57 % des colonies. Le ministre manitobain de l’Agriculture Derek Johnson a indiqué que les pertes s’élèvent normalement à environ 30 %. Pour information, on compte environ 115 000 ruches dans la province, et 95 % d’entre elles appartiennent à des apiculteurs commerciaux. L’investissement annoncé servira notamment à refaire les inventaires de ruches.

Alors qu’est-ce qui a obligé les deux ordres de gouvernement à faire un tel investissement? Quels défis ont rencontré les apiculteurs? Ian Steppler, président de l’Association des apiculteurs du Manitoba, en fait la liste. « Les apiculteurs du Manitoba ont dû relever une accumulation sans arrêt de défis au cours des dernières années, dont la sécheresse en 2021, les tempêtes de neige printanières, et le manque d’abeilles pour remplacer les ruches perdues. À cause de ces problèmes, beaucoup de producteurs n’avaient pas assez d’abeilles pour la saison 2022 », a-t-il détaillé. Ian Steppler souligne aussi, dans une communication officielle, que « l’industrie apicole manitobaine compte 250 apiculteurs commerciaux qui produisent normalement entre 18 et 20 millions de livres de miel, ce qui représente un total de 50 à 60 millions de dollars ».

Fernand Saurette, biologiste, spécialiste des abeilles, salue cette annonce. « C’est une bénédiction d’avoir une compensation à ce niveau. Et puis là, on parle de l’hiver 21-22, mais de ce que j’ai pu comprendre, l’hiver 22-23 a été également désastreux. Pas autant, mais très compliqué aussi. Il y a notamment eu une forme de champignon qui produit des spores par millions. Ce champignon se propage dans les ruches, ça crée énormément de dégâts et affaiblit les abeilles. »

Fernand Saurette
Fernand Saurette, biologiste, spécialiste des abeilles. (photo : Gracieuseté André Boisjoli)

Quelles solutions?

Au rayon des solutions, il a donc été mentionné l’idée de « refaire des colonies » et « l’inventaire des ruches ». Mais est-ce un procédé simple? Fernand Saurette, lui-même apiculteur, donne le détail. « D’habitude, ce que font les apiculteurs, c’est qu’avec une ruche qui sort de l’hiver, si elle est forte et peuplée, ils peuvent la diviser en deux, voire en trois dépendamment de l’effectif. Mais le problème, c’est qu’il faut alors introduire des reines. Donc on passe des commandes de reines en janvier et février pour qu’elles arrivent aux mois de mai et juin », décrit Fernand Saurette, qui précise par ailleurs qu’une reine peut coûter 50 $.

Les reines peuvent être commandées sur des sites spécialisés. Le biologiste explique aussi qu’il est possible de faire son propre élevage de reine. « C’est une technique assez élaborée, mais qui peut être pratiquée par des amateurs à petite échelle. »

Juillet et août sont les plus grosses saisons pour les apiculteurs au Manitoba. À ce moment-là, les ruches peuvent contenir de 60 000 à 75 000 abeilles, selon Fernand Saurette.

S’occuper des ruches

Leanne Fontaine et son fils Riel, 20 ans, ont développé un intérêt pour les abeilles depuis sept ans, après avoir assisté à une démonstration d’un apiculteur lors d’une foire d’emploi. Ils peuvent être considérés comme des apiculteurs amateurs et s’occupent de trois ruches au quotidien. « C’est une activité qui ne prend pas un temps fou chaque semaine. Mais il faut être dévoué et le plus important, c’est d’être constant pour faire fonctionner les ruches. J’aimerais que davantage de personnes s’y intéressent, surtout des jeunes », lance Riel Fontaine.

À noter que dès que vous possédez une ruche, il faut le signaler à la Province. « Ça serait bien aussi que les gens puissent louer une petite ruche pour mieux connaître les enjeux », dit de son côté Leanne Fontaine.

Outre une mauvaise rencontre avec un ours cette année qui a mis ses pattes dans une partie de leurs récoltes, le duo confirme que l’hiver est toujours la période la plus délicate. « Nous avons notamment utilisé une technique différente cet hiver. Nous avons overwintered nos abeilles. C’est-à-dire qu’on a protégé les abeilles du froid en les mettant dans le garage de mes parents », décrit Riel Fontaine. De l’eau sucrée leur était également apportée régulièrement.

Pour information, pendant l’hiver, les abeilles restent éveillées à l’intérieur de la ruche, regroupées en boule, mangeant du miel et faisant frissonner leurs muscles de vol pour produire de la chaleur.

La souffrance des abeilles

Même à leur niveau, les apprentis apiculteurs confirment avoir eu un hiver 2021-2022 très délicat, à cause du froid et de sa longueur. « C’était très difficile, on a eu beaucoup de pertes », souffle Leanne Fontaine.

En plus des durs hivers manitobains, les abeilles vivent un certain calvaire à longueur d’année. Fernand Saurette décrit la vie souvent douloureuse des abeilles. « En plus des questions environnementales et des champignons, les abeilles doivent aussi faire avec le varroa depuis plusieurs années. C’est un parasite acarien qui vient puiser le sang des abeilles. Et en plus, ça se propage, et très vite. Il faut savoir que ce parasite est presque aussi grand qu’une abeille. C’est comme si un humain portait une tique aussi grosse qu’un sac à dos! »

Fernand Saurette indique aussi que les abeilles doivent faire face à plusieurs espèces qui en veulent à leur miel. « C’est une ressource sucrée très prisée. En plus de l’ours, il faut y inclure les moufettes, les ratons laveurs, les rongeurs, les fourmis ou encore les guêpes. Ce sont des compétiteurs qui veulent déjouer leur miel. Il faut aussi y inclure bien sûr l’humain. »

Prédateurs, virus, changement climatique, pesticide, maladies ou encore bactéries, les abeilles font face à beaucoup de difficultés. Pourtant, elles sont prioritaires dans notre écosystème. D’après les experts apicoles de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, un tiers de la production alimentaire mondiale dépend des abeilles. « Malgré tout, les gens sont de plus en plus sensibilisés à leur importance. Mais il reste encore du travail à faire », conclut Fernand Saurette.