Discussion sur une stratégie centenaire mêlant science, santé publique et préoccupations écologiques.

Cette année, la Ville de Winnipeg poursuit un programme plus que centenaire visant à tenir les moustiques à distance. Les approches scientifiques de la lutte contre ces nuisibles remontant à 1923, les experts de la ville ont beaucoup affiné leur approche pour en maximiser l’efficacité.

Le programme de lutte contre les moustiques est particulièrement important à Winnipeg à cause d’un paysage géographique composé de « sols argileux et de terrains plats », explique David Wade, surintendant de la lutte contre les insectes de la Ville.

Des inquiétudes au fil des ans

Ce type de terrain favorise en effet la formation d’habitats propices à la prolifération des moustiques.

« Au fil des ans, les moustiques ont suscité des inquiétudes en matière de santé publique. Dans les années 70, il s’agissait de l’encéphalite équine de l’Ouest ; dans les années 2000, du virus du Nil occidental. »

Mais si la réduction de la population de moustiques est importante pour la santé et la sécurité publiques, comment limiter ses effets sur l’environnement?

Selon David Wade, l’essentiel est de traiter les insectes à un stade précoce de leur vie. « Le programme de lutte contre les larves de moustiques cible le stade larvaire lorsqu’elles sont dans l’eau, explique-t-il. C’est le meilleur moment pour les traiter. »

« Ils sont confinés dans les masses d’eau où nous savons que la majorité d’entre eux existent, et nous pouvons les traiter avec des insecticides très spécifiques aux larves de moustiques. C’est une approche beaucoup plus respectueuse de l’environnement qu’un simple programme de lutte contre les moustiques adultes. »

Les différents larvicides

Deux types de larvicides sont utilisés : un larvicide biologique, dans lequel la bactérie Bacillus thuringiensis israelensis (Bti) est répandue dans l’eau et dont les spores, lorsqu’elles sont consommées par les larves, empêchent la digestion et tuent les insectes ; et un larvicide biorationnel, qui contient l’ingrédient actif méthoprène, une substance synthétique qui imite les hormones de croissance des insectes afin d’empêcher les larves d’atteindre le stade adulte.

Le programme de la ville a démarré au début du mois, et l’équipe de lutte contre les insectes nuisibles sillonne la ville depuis ce temps pour tester les sites contenant de l’eau stagnante et favorables à la croissance de larves de moustiques, puis les traiter.

Cette tâche est particulièrement importante à cette époque de l’année, car l’équipe doit suivre les périodes d’éclosion des 42 espèces de moustiques qui existent à Winnipeg.

En recherche d’alternatives

Par exemple, la principale espèce nuisible, Aedes vexans, a tendance à éclore après des pluies estivales importantes, que l’on a subies à la mi-mai.

Le programme de larvicide étant beaucoup plus efficace et moins destructeur pour les autres espèces d’insectes, la ville y consacre « environ 90 à 95 % de son temps et de son argent. »

Par ailleurs, David Wade explique que le DeltaGard, le pesticide utilisé dans le cadre du programme de lutte contre les moustiques adultes, n’est utilisé que dans le cadre de directives strictes et dans des situations où les populations sont exceptionnellement élevées.

« Nous n’utilisons pas le DeltaGard tous les ans. L’année dernière, nous l’avons utilisé une fois pour lutter contre les moustiques nuisibles. »

En fait, la ville de Winnipeg pourrait chercher des alternatives à ce pesticide, car le fabricant de DeltaGard en a cessé la production en 2023. Bien que la ville ait acheté les stocks restants, on s’attend à ce qu’ils soient épuisés au cours des deux ou trois prochaines années.

Effets sur l’environnement

La Ville affirme que son programme de lutte contre les moustiques est aussi respectueux que possible de l’écosystème. Selon David Wade, la bactérie Bti affecte spécifiquement les larves de moustiques, tandis que la manière, le dosage et les zones où le larvicide à base de méthoprène est appliqué garantissent un effet minimal sur ce que l’on appelle les « non-cibles ».

En outre, comme DeltaGard n’est utilisé que de manière modérée et pulvérisé la nuit, lorsque d’autres insectes comme les abeilles et les papillons sont cachés et que les moustiques sont les plus actifs, il est possible de minimiser les dommages causés à d’autres espèces.

Fernand Saurette
Fernand Saurette est ancien professeur de biologie à l’Université de Saint-Boniface et apiculteur amateur. (photo : Marta Guerrero)

Mais le biologiste Fernand Saurette n’est pas de cet avis.

Pour lui, l’application massive de pesticides cause d’énormes dommages à l’écosystème. Non seulement le programme de larvicide affecte une multitude d’espèces d’insectes aquatiques, comme les libellules, les coléoptères et les éphéméroptères, mais les moustiques et ces autres insectes affectés servent aussi de nourriture à plusieurs espèces de poissons et d’oiseaux.

« Le rôle du moustique, ce n’est pas juste de piquer les humains et de causer des maladies, dit-il. C’est un maillon de la chaîne alimentaire. »

Des dommages pour la faune

Il ajoute que l’utilisation du DeltaGard la nuit peut également avoir des effets ravageurs sur plusieurs espèces nocturnes comme les papillons de nuit. Et comme le pesticide laisse des résidus sur les plantes, les insectes diurnes peuvent encore être affectés, ce que Fernand Saurette remarque particulièrement en tant qu’apiculteur amateur.

« La Ville est acharnée pour combattre les moustiques parce qu’il y a beaucoup de pression par les citoyens, qui ne savent pas les dommages qu’ils causent envers la faune.

« Pour moi, comme biologiste, ça me dérange beaucoup, surtout quand on veut arroser pour les insectes nuisibles qui ne sont pas vecteurs de maladies, mais sont seulement nuisibles parce que les gens n’aiment pas avoir de piqûres de moustiques.

S’il ne nie pas l’importance de tenir à distance des maladies dangereuses comme le virus du Nil occidental, Fernand Saurette estime que lorsque le risque de maladie est faible, le programme de démoustication constitue une dépense injustifiable, tant au niveau environnemental que financier.

En effet, le budget de lutte contre les insectes pour 2025 a été fixé à 9,7 millions $. Mais cette saison chaude s’annonçant sèche, dont un des symptômes a été les feux de forêt dévastateurs que l’on a vus ces dernières semaines, le biologiste affirme qu’il y a peu d’endroits où l’eau stagnante s’accumule, ce qui signifie peu de sites de reproduction de moustiques.

Selon lui, la responsabilité de lutter contre les moustiques qui rôdent dans leur cour devrait revenir aux citoyens eux-mêmes. Il considère qu’utiliser des produits comme les lampes ultraviolettes, les pièges à moustiques ou même l’installation d’étangs avec des poissons indigènes qui se nourrissent de larves sont plus efficaces et mieux appropriés pour protéger notre précieux écosystème local.