La méthode agricole SMART-VF, développée en collaboration avec l’autorité sanitaire de la Nation crie d’Opaskwayak (NCO) et un groupe de chercheurs de l’Université du Manitoba, vise à répondre à un enjeu de longue date dans les communautés nordiques : la sécurité alimentaire.

Dans le Nord canadien, l’accès à des aliments frais, nutritifs et abordables demeure un défi majeur.

En cause : l’éloignement géographique, la dépendance aux chaînes d’approvisionnement routières et les coûts de transport élevés, qui affectent la qualité et le prix des denrées acheminées.

Pour les chercheurs engagés dans cette démarche, dont la Dre Miyoung Suh, professeure au département des sciences de l’alimentation et de la nutrition humaine de l’Université du Manitoba, l’objectif est double : améliorer l’accès local aux aliments sains et contribuer à la santé globale des communautés.

« Cette question est d’autant plus pressante en ce moment, compte tenu des hausses tarifaires et des feux de forêt qui perturbent encore davantage les chaînes logistiques », souligne la Dre Suh.

Selon l’autorité sanitaire d’Opaskwayak, les taux de diabète et d’hypertension y sont particulièrement élevés, touchant plus de 40 % des adultes.

Plusieurs facteurs structurels entrent en jeu : l’accès limité aux soins de santé, les conditions de vie découlant de l’isolement géographique et les impacts persistants du colonialisme, notamment la perte d’accès aux pratiques alimentaires traditionnelles et les effets des traumatismes intergénérationnels.

« C’est une triste réalité, mais il est souvent plus facile et moins coûteux d’acheter des boissons sucrées ou des collations transformées que des fruits et légumes frais », constate la Dre Suh.

Un aperçu de l’opération SMART-VF au sein de la Nation Cree d’Opaskwayak.
Un aperçu de l’opération SMART-VF au sein de la Nation Cree d’Opaskwayak. (photo : gracieuseté Dre Miyoung Suh)

Une solution technologique adaptée

SMART-VF (Smart Modular Agricultural Raised Technology – Vertical Farming) propose une méthode de culture intérieure verticale, contrôlée par ordinateur, qui permet de produire localement des légumes à haute valeur nutritive, toute l’année.

Grâce à un éclairage et une température régulés, ce système réduit la dépendance aux importations alimentaires tout en offrant aux communautés une forme de souveraineté alimentaire adaptée à leur réalité.

De plus, les équipes de recherche peuvent ajuster la composition des nutriments pour produire des légumes dits « fonctionnels », c’est-à-dire spécialement conçus pour soutenir la prévention de maladies chroniques. Des tests d’efficacité sont également menés pour évaluer les impacts concrets sur la santé.

« Nos données préliminaires suggèrent que ces aliments pourraient améliorer la santé cardiovasculaire et contribuer à la réduction de l’hypertension et de la masse graisseuse. Il reste du chemin à parcourir, mais les premiers résultats sont encourageants », affirme la Dre Suh.

Une initiative née dans la communauté

Le projet a pris forme à l’initiative de Glen Ross, directeur général de l’Opaskwayak Health Authority, convaincu que la santé alimentaire constitue une clé essentielle du mieux-être collectif.

Parallèlement, la Dre Suh menait d’autres recherches dans la communauté. Formée comme diététiste clinique en gastroentérologie, diabète et maladies cardiovasculaires, elle est aussi chercheuse principale au Centre canadien de recherches agroalimentaires en santé et médecine (CCARM), ainsi qu’au Centre de recherche Albrechtsen de l’Hôpital Saint-Boniface.

Ses travaux ont été reconnus à l’échelle internationale, notamment en 2017 lorsqu’elle est devenue la première femme nommée Scientifique de l’année par la Fédération coréenne des sociétés scientifiques et technologiques (KOFST).

L’équipe d’Opaskwayak l’a alors invitée à contribuer au projet SMART-VF, qu’elle a rejoint officiellement en 2019 après l’obtention de financements et l’élaboration du cadre de recherche.

Sensibilité culturelle et dialogue

Comme dans tout projet d’innovation, des ajustements ont été nécessaires. Certaines personnes de la communauté, notamment des aînés, ont exprimé au départ des réserves à l’égard d’une culture hors sol, sans lien direct avec la terre.

« J’ai compris que pour plusieurs, la terre et ce qu’elle produit sont profondément sacrés. L’idée d’utiliser une solution nutritive à base d’eau pouvait sembler artificielle ou en rupture avec leurs valeurs », explique la Dre Suh.

Mais avec le temps, et surtout après avoir goûté aux produits, l’adhésion s’est accrue. « Ils ont constaté la fraîcheur et la qualité des aliments. Peu à peu, la perception a évolué. Ce que nous souhaitons, c’est avancer en respectant les réalités culturelles, dans un esprit de co-construction et de collaboration. »

Des retombées au-delà de la nutrition

Outre les bénéfices alimentaires et de santé, SMART-VF ouvre la voie à de nouvelles possibilités de formation et d’emploi. À certains moments, des crédits ont même été accordés à des élèves du secondaire qui participaient aux activités du site, leur permettant de se familiariser avec des technologies agricoles innovantes.

L’équipe travaille par ailleurs à l’optimisation du système, en partenariat avec des ingénieurs de l’Université du Manitoba. L’intégration de l’intelligence artificielle ou de la robotique est à l’étude pour améliorer la productivité et réduire les tâches répétitives.

À terme, le modèle pourrait être étendu à d’autres communautés qui souhaitent renforcer leur autonomie alimentaire.

« Nous souhaitons soutenir les initiatives portées par les communautés nordiques elles-mêmes, en leur offrant des outils pour produire localement, selon leurs priorités et leurs aspirations », conclut la Dre Suh.