C’est à cette question que tente de répondre Hafu, un documentaire scénarisé, réalisé et incarné par Vincent Blais-Shiokawa.
À travers sa propre histoire, il explore les tensions intérieures vécues par les enfants issus de familles mixtes, et la quête d’une identité pleine, plutôt qu’à moitié.
Né à Vancouver d’un père japonais et d’une mère québécoise, Vincent Blais-Shiokawa déménage au Manitoba à l’âge de deux ans.
Il grandit à Sainte-Anne et fait sa scolarité en français, entre judo, culture canadienne-française et fascination pour ses racines japonaises. Mais dès l’école primaire, quelque chose le distingue.
« En 4e, 5e, et 6e année, je me rendais déjà compte que le mode de vie de ma famille était vraiment différent de celui de mes amis », confie-t-il.
En décalage avec l’entourage
Il perçoit alors un léger décalage : une manière de penser, de se comporter, de discuter qui ne correspond pas tout à fait à celle de son entourage. Ce sentiment d’écart se transforme peu à peu en un tiraillement plus profond, qu’il ne comprend pleinement qu’à l’âge adulte.
Dans Hafu, Vincent met en lumière cette dualité intérieure : celle d’avoir grandi à l’intersection de deux cultures fortes, avec leurs propres valeurs, leurs propres codes.
« J’ai toujours ressenti une certaine distance, comme si je n’étais jamais assez japonais pour les Japonais, ni assez canadien pour les Canadiens », résume-t-il.
Cette tension identitaire devient le fil conducteur du documentaire.
Avec Hafu, Vincent Blais-Shiokawa ne cherche pas à donner une réponse définitive, mais à créer un espace de dialogue. « On m’a proposé d’être le véhicule de ce sujet, pour parler aussi des autres. J’ai voulu ouvrir une discussion. »
Le projet du documentaire naît au moment où Vincent Blais-Shiokawa s’apprête à partir au Japon avec son père pour rendre visite à un membre de la famille.
Ce voyage marque le début d’un processus de réflexion sur son identité et son rapport au pays de son père, qui, lui, n’a jamais voulu devenir citoyen canadien.
Vincent Blais-Shiokawa y interroge des proches, dont sa mère et sa sœur, ainsi que des spécia- listes japonais et canadiens, pour mieux comprendre les dynamiques intérieures que vivent celles et ceux qui grandissent à l’intersection de cultures différentes.
Une quête personnelle, mais universelle aussi
Ce sentiment, il le partage aujourd’hui avec d’autres « hafu », un terme japonais qui signifie littéralement « moitié ».
Le mot, devenu central dans sa réflexion identitaire, a d’abord été une découverte. Le documentariste explique : « Mon père n’a jamais utilisé ce mot-là en grandissant. Ce n’est que quand ma sœur a rencontré une équipe de judo japonaise à Vancouver qu’on l’a appelée ‘hafu’ pour la première fois. C’est comme ça que le mot est entré dans notre vocabulaire familial. »
À travers le documentaire, le jeune scénariste choisit de se réapproprier ce terme longtemps utilisé de façon péjorative pour désigner les personnes métisses. Pour lui, ce mot devient un point de départ, un outil d’exploration. « Me réapproprier ce terme, c’est aussi une manière de mieux me comprendre », confie-t-il.
L’œuvre dévoile aussi les contrastes hérités de ses deux parents – une sensibilité artistique extravertie inspirée de sa mère, une rigueur plus critique et réservée transmise par son père, et comment ces facettes parfois opposées coexistent, dialoguent, s’enrichissent.
« Ce n’est pas aussi simple que de dire : “ça, c’est mon côté japonais” ou “ça, c’est mon côté canadien”. Mes parents aussi ont assimilé des éléments de la culture de l’autre. On est tous des mélanges », précise Vincent Blais-Shiokawa.
Introspection
À travers cette introspection filmée, il touche une corde universelle : celle du sentiment d’entre-deux, du besoin d’appartenance.
« J’ai compris que ce que je vivais, je n’étais pas seul à en faire l’expérience. D’autres hafu ressentent cette même pression. »
Aux jeunes qui vivent un tiraillement identitaire semblable, Vincent Blais-Shiokawa souhaite offrir du réconfort :
« Si vous vous sentez à part, c’est normal. Ce que vous ressentez est valide. On n’est pas obligés de choisir un seul côté. On peut habiter cet entre-deux, et en faire quelque chose de beau! »
Aujourd’hui, Vincent Blais-Shiokawa ne voit plus cette dualité comme un obstacle, mais comme une richesse à apprivoiser.
Hafu, au final, devient un outil pour naviguer dans cette zone grise. Un espace où l’identité ne se divise pas en parts égales, mais se compose et se façonne, au fil du temps, des rencontres et des prises de conscience.
Le documentaire Hafu est diffusé au Théâtre Cercle Molière ce 10 juillet à 19 h.