Sans Gérard Lécuyer, la Division scolaire franco-manitobaine (DSFM) étendue à l’échelle de toute la province du Manitoba n’aurait peut-être jamais vu le jour.
Ancien ministre néo-démocrate et surtout ardent militant de la francophonie, Gérard Lécuyer s’est éteint le 9 juillet 2025.
Il laisse derrière lui une communauté qui lui est en partie redevable d’un héritage indélébile.
Fils d’Albert Lécuyer et Suzanne Delaloye, il vient au monde en 1936 à Saint-Boniface et grandi à Sainte-Agathe. Adulte, il enseigne d’abord à l’École Provencher avant d’œuvrer pour l’Agence canadienne de développement international en Sierra Leone et en Algérie.
En 1981, il est élu député à l’Assemblée législative du Manitoba pour la circonscription de Radisson. Il occupe ensuite les fonctions de ministre de l’Environnement, de la Sécurité et de la Santé au travail de 1983 jusqu’à la défaite du NPD lors des élections provinciales anticipées de 1988. Les conservateurs de Gary Filmon l’emportent avec 25 sièges, contre 20 pour les libéraux et 12 pour le NPD.
Après son passage en politique, Gérard Lécuyer devient le directeur général de la Fédération provinciale des comités de parents du Manitoba (FPCP) de 1990 à 1994.
C’est pendant ces quatre années-là que Gérard Lécuyer mène sa plus grande bataille dans l’intérêt de la francophonie manitobaine.
La création de la Division scolaire franco-manitobaine
Avec la Loi 113 (1971) du gouvernement néo-démocrate d’Ed Schreyer, l’enseignement en français avait fait son retour au Manitoba. Toutefois, les opportunités d’être éduqué en français restent encore très limitées. Car à cette époque-là, il fallait l’aval des commissions scolaires, dont la plupart ne sont pas d’emblée favorables à l’enseignement en français. Surtout dans les cas où la majorité des commissaires sont anglophones.
Gilbert Savard préside la Fédération provinciale des comités de parents du Manitoba lorsque Gérard Lécuyer est le directeur général. L’organisme est aujourd’hui connu sous le nom de Fédération des parents de la francophonie manitobaine (FPFM). Il rappelle le contexte.

« Nous étions encore à la merci de la majorité anglophone. Du jour au lendemain, nous aurions pu avoir à subir des changements dans les divisions scolaires où allaient nos élèves. Des changements qui allaient à l’encontre de nos aspirations et de nos valeurs culturelles. »
Raymond Poirier, lui aussi membre de la FPCP à l’époque, ajoute : « Les décisions étaient au bout du compte prises par des anglophones. La plupart du temps, on devait se contenter de compromis et de concessions et prendre ce que l’on nous donnait. Lorsque l’on n’était pas d’accord, on ne pouvait rien faire, car nous étions en minorité ».
La nécessité d’obtenir la gestion scolaire devient alors évidente. Gilbert Savard, ainsi que Raymond Poirier et bien d’autres militants, combattent aux côtés de Gérard Lécuyer. En 1991, la FPCP entame une poursuite judiciaire contre le gouvernement provincial pour le non-respect des droits des parents francophones, prévus à l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Mais la Cour d’appel du Manitoba estime que l’article 23 ne garantit pas le droit à la gestion scolaire par les francophones. Le jugement est porté en Cour suprême du Canada. Le plus haut tribunal donne raison à la FPCP en 1993.
« Malgré un jugement favorable, la Province s’est montrée récalcitrante », explique Gilbert Savard.
Au départ, le gouvernement propose de former une seule commission scolaire francophone pour la zone urbaine. Il a finalement changé son fusil d’épaule sous la pression de la FPCP.
« Le gouvernement Filmon nous a tout de même fait passer par un système alambiqué. Nous avons dû aller consulter toutes les communautés francophones pour leur demander si elles voulaient faire partie d’une division francophone sous le contrôle de la francophonie manitobaine. »
La réponse de la plupart des communautés dépasse les attentes.
« C’est en grande partie dû au travail de Gérard, qui s’est rendu avec une équipe de volontaires de communauté en communauté pour informer les gens et les rallier à la cause », indique Gilbert Savard.
La gorge quelque peu serrée, il ajoute : « Gérard a été extraordinaire ».
En septembre 1994, la DSFM ouvre ses portes. C’est une victoire décisive pour les parents, la communauté franco-manitobaine dans l’optique de sa vitalité à long terme.
Sans compromis
Gilbert Savard et Raymond Poirier s’accordent pour dire de Gérard Lécuyer qu’il était un « homme tenace et intègre ».
« C’était un gars qui avait un sens aigu de la justice sociale, note Raymond Poirier. Certains disaient qu’il était têtu (rires), mais c’était bon d’avoir quelqu’un qui ne flanchait pas facilement. C’était le genre de personne qui allait au bout des choses. On ne l’amenait pas facilement à faire des compromis. »
Il estime d’ailleurs que cette intransigeance a eu des conséquences sur son expérience en politique.
« Ça a été une période difficile pour lui. La politique, c’est l’art du compromis. Or Gérard n’était pas doué pour ça. Il voulait ce qui est juste, ce qui est bon et nécessaire. »
Dans le cadre de la création de la DSFM cependant, ce trait de caractère s’est avéré un atout important. « Il fallait quelqu’un qui ne recule pas. »
Gilbert Savard quant à lui se souvient d’un homme « qui commandait beaucoup de respect ».
« Les gens l’entendaient et on pouvait toujours compter sur lui. Il a été prêt à tout pour faire avancer le dossier de la création de la division scolaire provinciale. Ça a été extraordinaire de pouvoir travailler avec lui. »
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