Voici les solutions qu’offrent les experts pour réduire notre temps d’écran pour de bon.

Dans son livre On vous vole votre attention !, l’auteur Johann Hari évoque l’idée d’un « optimisme cruel » en réponse à ceux qui disent se sentir piégés par leur temps d’écran.

Il explique que beaucoup de personnes qui discutent des solutions au temps d’écran élevé proposent souvent des actions apparemment simples – désactiver les notifications, être plus discipliné sur son temps d’écran, lire un livre à la place – qui ne s’attaquent pas réellement aux raisons pour lesquelles nous nous tournons vers nos écrans.

En retour, ces solutions sont présentées comme accessibles et faciles à mettre en œuvre, alors qu’en réalité, elles ne fonctionnent pas pour la plupart des gens et suscitent culpabilité et honte lorsqu’elles échouent inévitablement.

Comme nous l’avons vu, lorsqu’on cherche des solutions pour rompre notre attachement malsain à nos écrans, il faut non seulement contrer les tactiques de design addictives qui ont été créées pour nous garder accrochés, mais il faut également réapprendre à notre cerveau à combattre les signaux d’ennui, de solitude et de stress qui nous poussent à nous tourner vers notre téléphone sans réfléchir.

En d’autres mots, nous devons nous responsabiliser vis-à-vis de nous-mêmes, tout en faisant preuve de compassion à l’égard du contexte dans lequel nous utilisons les écrans.

Les solutions à court terme

Certaines applications peuvent être utiles : des outils comme Opal peuvent bloquer les applications problématiques et permettre aux utilisateurs de définir leurs propres restrictions. Personnellement, j’ai eu du succès avec l’application Beeper, une messagerie universelle chiffrée qui se connecte à la plupart des applications de messagerie importantes.

Je l’ai trouvée particulièrement utile pour Instagram et LinkedIn, deux applications qui n’ont pas d’application de messagerie autonome et qui obligent leurs utilisateurs à passer par un fil d’actualité addictif avant d’arriver à leurs messages. Beeper, en revanche, permet de supprimer ces applications sans manquer de communications importantes.

Le Center for Humane Technology recommande de désactiver toutes les notifications, ce qui peut être utile pour ceux qui ont un téléphone intelligent. L’idée, c’est que la plupart d’entre nous ont probablement déjà tendance à consulter périodiquement nos courriels et nos applications de messagerie, et nous pouvons faire savoir à notre entourage de donner priorité aux appels téléphoniques en cas d’urgence ou de communications importantes.

Si ça vous semble encore trop compliqué, vous pouvez au moins désactiver toutes les notifications « non- humaines », c’est-à-dire les notifications qui n’impliquent pas que quelqu’un d’autre essaie directement d’entrer en contact avec vous. Cela inclue par exemple les likes sur Facebook, les notifications d’applications de jeux ou les messages promotionnels.

Établissez des règles familiales concernant les écrans – plusieurs familles décident de ne pas utiliser d’écran dans la chambre à coucher, à table ou dans la salle de bains. Veillez à ce que toute la famille soit prête à respecter ces règles, car les études montrent que les enfants suivent les habitudes technologiques de leurs parents.

Parlant d’écrans dans la chambre à coucher, c’est peut-être une des règles les plus importantes. Chargez vos appareils en dehors de votre chambre et utilisez un réveil-matin analogique si vous vous servez de votre téléphone comme alarme.

Non seulement cette habitude vous évite les effets néfastes des contenus stimulants et de la lumière bleue sur votre sommeil, mais l’utilisation de votre téléphone le matin force votre cerveau à passer trop rapidement des ondes cérébrales endormies (delta) aux ondes alertes (bêta). En manquant les phases d’ondes du cerveau thêta et alpha, vous préparez votre cerveau à être plus distrait et stressé tout au long de la journée, ce qui vous rend plus susceptible d’être déconcentrés par vos appareils.

Les heures qui suivent le réveil et précèdent le coucher étant très fragiles pour le cerveau, vous pouvez régler votre téléphone pour qu’il se mette automatiquement en mode « Ne pas déranger » afin qu’aucune notification ne vienne vous perturber. Pendant ces heures, il est aussi préférable de se tourner vers des activités hors écran comme lire un livre, faire des mots croisés ou écrire dans un journal.

Pour votre bien-être physique, essayez de suivre les recommandations canadiennes en matière de santé : ne passez pas plus de 8 heures par jour à être sédentaire, ne dépassez pas 3 heures de temps d’écran récréatif par jour, pratiquez au moins 150 à 200 minutes d’activité d’intensité modérée à élevée par semaine et dormez au moins 7 à 9 heures par nuit.

« L’enfant n’a pas la possibilité, biologiquement parlant, de se réguler. Son cerveau n’est pas encore conçu pour se mettre des balises. » Marie-Josée Michaud.

Les conseils qui vont plus loin

Les solutions à court terme ne suffisent malheureusement pas à remédier aux effets psychologiques des outils technologiques sur notre esprit.

Si l’ennui et le manque de pratique lorsqu’il s’agit de supporter des émotions désagréables sont les raisons pour lesquelles nous avons tendance à passer plus de temps sur nos écrans, la fonction « Ne pas déranger » ne va pas cibler le vrai problème et des changements d’habitudes plus cohérents et à plus long terme doivent avoir lieu.

Plusieurs experts recommandent de redonner de la valeur à la gratification différée en pratiquant des activités plus lentes.

« Trouvez quelque chose que vous trouvez ennuyeux ou stupide et lancez-vous le défi de devenir un expert en la matière au cours des trois prochains mois, » explique John Eastwood, un expert sur le sujet de l’ennui.

Par exemple, si vous voulez vous mettre à la guitare ou au crochet, mais que vous n’avez pas eu le temps de le faire ou que vous vous sentez ridicule en tant que débutant, commencez à consacrer un peu de temps à cette pratique. En pratiquant la lenteur, par exemple en vous remettant à la lecture ou à la méditation, vous redessinez vos voies neuronales pour prolonger votre attention et renforcer votre concentration.

D’autres chercheurs sur le sujet affirment qu’il peut être utile de fixer des limites plus intentionnelles avec la technologie. Dans son livre Lâche ton téléphone !, Catherine Anne Price propose un plan d’action de 30 jours pour mettre en place une détox digitale. Bien entendu, votre situation ne nécessite peut-être pas une structure aussi poussée ou des mesures aussi radicales, mais il peut être utile de réfléchir à vos habitudes.

Prenez le temps de remarquer à quels moments de la journée vous passez le plus de temps sur les écrans, sur quelles applications vous passez le plus de temps et notez les sentiments que vous ressentez lorsque vous vous tournez vers vos appareils sans y penser.

Certains trouveront que leur vérification matinale des courriels se transforme souvent en une longue navigation sur les médias sociaux, tandis que d’autres se rendront compte que lire les nouvelles en rentrant du travail est l’habitude qui leur fait perdre la notion du temps et de leurs tâches plus importantes.

Pour le bien-être émotionnel et neurologique, il a également été démontré que le contact avec la nature et l’exercice sont bénéfiques pour le cerveau. Non seulement ces deux activités ont des effets positifs sur la santé mentale et la cognition, mais elles peuvent améliorer la plasticité du cerveau, ce qui peut faciliter la reprogrammation de votre cerveau alors que vous commencez à adopter de nouvelles habitudes hors ligne.

Les solutions pour les jeunes

Pour Marie-Josée Michaud, coordonnatrice des services de prévention au Grand Chemin, la chose la plus importante à faire pour les parents qui souhaitent contrôler le temps d’écran de leurs enfants est de leur fournir une structure très solide.

Ayant travaillé dans le domaine de l’addiction chez les jeunes pendant plus de vingt ans, elle souligne qu’il est extrêmement important d’imposer des règles claires, constantes et conséquentes aux jeunes, surtout parce que le cerveau des enfants et des adolescents n’est pas encore en mesure d’imposer ses propres règles.

« L’enfant n’a pas la possibilité, biologiquement parlant, de se réguler. Son cerveau n’est pas encore conçu pour se mettre des balises. Sa gestion des risques est très faible parce qu’elle n’est pas encore développée. Les règles doivent venir de l’extérieur. »

Cet aspect est particulièrement important lorsqu’il s’agit de parents qui donnent à leurs enfants des appareils technologiques en cadeau. Elle dit avoir remarqué que de nombreux parents offrent des consoles de jeux vidéo ou des téléphones intelligents à leurs enfants à condition qu’ils les utilisent de manière responsable, sans se rendre compte qu’il s’agit d’une demande impossible et que leur enfant risque d’en faire un usage excessif.

Cela dit, il est également important de ne pas diaboliser les écrans et la technologie : après tout, les enfants auront besoin d’utiliser leurs ordinateurs et leurs téléphones pour l’école ou pour discuter avec leurs amis, et ils devront apprendre à avoir une relation harmonieuse avec ces appareils.

Il s’agit de trouver un juste équilibre entre le fait de faire connaître les règles d’utilisation des écrans et de faire comprendre les raisons derrière ces règles, tout en acceptant que les jeunes vont probablement vouloir s’en rebeller ou parfois y réagir de manière négative.

Marie-Josée Michaud ajoute que le fait de s’intéresser aux activités en ligne de votre enfant et de l’aider à y réfléchir de manière critique peut l’aider à développer des interactions plus saines avec la technologie.

De temps à autre, elle recommande d’aider votre enfant à « faire le ménage » du contenu qu’il consomme, des influenceurs qu’il suit et des applications qu’il utilise afin de s’assurer que ceux-ci correspondent toujours à ses objectifs en matière de temps d’écran.

Par exemple, si un influenceur motivait autrefois votre enfant à pratiquer un sport, mais qu’il semble maintenant qu’il ne regarde ses contenus que pour comparer son apparence et se sentir mal dans sa peau, il est peut-être temps de se désabonner du compte ou même de le bloquer.

Enfin, il est aussi essentiel d’encourager vos enfants à développer leur vie sociale en dehors de l’internet, que ce soit en les inscrivant à des activités parascolaires ou en les aidant à se trouver à des passe-temps sociaux.

Dans son livre Unwired : Gaining Control Over Addictive Technologies, Gaia Bernstein conseille aux parents de s’organiser avec d’autres parents de leur quartier pour imposer les mêmes règles en matière de technologie. Cela permet de s’assurer que les limites de temps n’isolent pas les jeunes de leurs pairs et que, lorsque des règles d’interdiction d’écran sont en place, les enfants ont toujours la possibilité de sortir et de jouer avec leurs amis.

Lorsque les jeunes entrent dans l’adolescence, ils entrent dans des années fondamentales de leur développement social. Ils se font des amis avec des valeurs différentes, ils passent à travers du rejet et de la validation, ce qui les aide à construire leur identité et à cimenter leurs valeurs, les préparant ainsi pour l’âge adulte.

Non seulement cela ne peut pas se produire s’ils passent trop de temps sur leurs écrans, mais développer leur vie sociale en ligne les expose potentiellement à ce que Marie-Josée Michaud appelle une « dette de temps. »

« Chez les jeunes, il y a un ensemble de “premières fois” qu’ils vont avoir : première relation amicale significative, première relation amoureuse, première relation sexuelle, première fois à aller porter des CV, premier travail. »

« Cet ensemble de premières fois est quasi inexistant chez les jeunes cyberdépendants parce que le temps a été surinvesti en ligne au détriment du hors ligne. Donc ces jeunes-là, quand ils deviennent adultes se retrouvent à la case 0. »