Par Hugo BEAUCAMP et Camille HARPER.
Une équipe de recherche de l’Université de Saint-Boniface (USB), le Groupe de recherche multidisciplinaire en immigration, a pour visée de récolter des données concrètes sur les contributions des immigrants francophones au Manitoba.
Faïçal Zellama, professeur agrégé d’économie, Patrick Noël, professeur agrégé d’histoire et Étienne Rivard, professeur agrégé de géographie, tous à l’USB, ont présenté en fin d’année 2024 leur sujet de recherche devant une trentaine de personnes.
Un projet lancé sous l’impulsion de l’Amicale de la francophonie multiculturelle du Manitoba (AFMM). Son président Alphonse Lawson-Héllu fait la lumière sur les raisons qui l’ont motivé.
« Souvent les politiques et les initiatives se concentrent sur les nouveaux arrivants en termes de besoins. Le discours que l’on entend semble impliquer que l’immigration est un poids qui pèse sur la société. Mais un immigrant bien intégré, après une dizaine ou une vingtaine d’années, quelle est sa contribution? »
Par contribution, on entend l’impact économique de cette immigration, mais pas seulement. Il s’agit aussi de voir comment cette dernière a influé sur la francophonie, les arts, le sport ou encore la santé physique, psychologique et mentale.
Patrick Noël donne un exemple concret : « J’ai un garçon de huit ans qui va à l’École Taché. Sa directrice est une immigrante, ses trois enseignants jusqu’à présent étaient des immigrants, et ses moniteurs de sport en français sont aussi issus de l’immigration. C’est bien la preuve de la contribution des immigrants francophones. Leur présence est incontournable et essentielle pour la communauté. »
Alphonse Lawson-Héllu reprend : « Nous n’avons pas de données là-dessus. On voudrait donc saisir ces informations-là pour construire un argumentaire qui permettra de changer le discours sur l’immigration. »
L’objectif à long terme est de présenter une liste de recommandations et de faire évoluer, entre autres, les politiques d’immigration. C’est pourquoi l’AFMM s’est rapprochée de l’USB, qui n’a pas hésité à jouer le jeu.
Créer une équipe
« Nous étions tout de suite convaincus de l’intérêt et de l’importance d’un tel projet, assure Peter Dorrington, qui était vice-recteur à l’enseignement et à la recherche de l’USB lors de notre entrevue. La majorité de nos étudiants internationaux viennent dans le cadre d’un projet d’immigration. Et si l’USB recrute des étudiants à l’étranger, c’est aussi pour appuyer la communauté francophone dans son développement. »
L’université bénéficie également de l’immigration à travers son corps professoral multiculturel.
Pour Faïçal Zellama, chercheur principal, la question des contributions est particulièrement importante. Il s’était déjà penché sur le problème des barrières à l’intégration des immigrants dans le passé.
« Ce projet, c’est le minimum que l’on puisse faire pour rendre un peu à notre communauté son estime d’elle-même. Je veux pouvoir démontrer aux immigrants qu’ils contribuent, pour leur donner un peu d’espoir. »
Depuis décembre 2024, l’équipe de recherche s’est agrandie hors des murs de l’USB, et même des frontières manitobaines.
« On travaille avec la professeure-chercheuse Nathalie Piquemal de l’Université du Manitoba, ainsi qu’avec les professeurs Igor Volkov de l’Université du Québec en Outaouais, et Brahim Boudarbat de l’Université de Montréal », révèle Patrick Noël.
Le chercheur explique en effet que l’étude se divisera en deux volets, une première partie qualitative puis une partie quantitative.
Et « comme nous ne sommes pas experts en méthodologie quantitative, on est allé chercher des gens qui travaillent dans le domaine quantitatif depuis de nombreuses années. Ils vont pouvoir nous apporter les outils et l’expertise pour mieux aborder l’immigration manitobaine francophone d’une manière quantitative.
« L’autre avantage d’avoir des chercheurs hors Manitoba, c’est qu’éventuellement, on voudrait ouvrir notre recherche dans une démarche comparative, donc mesurer et apprécier la contribution des immigrants francophones au Manitoba comparé à d’autres provinces. »
Précisons que c’est la première recherche diachronique sur l’immigration au Manitoba, un concept que Patrick Noël explicite : « En recherche, l’approche synchronique va s’intéresser à un phénomène à un moment bien précis dans le temps. L’angle diachronique quant à lui va chercher à observer l’évolution d’un phénomène dans le temps.
« On a constaté que les immigrants francophones au Manitoba ont surtout été étudiés dans l’angle de leur accueil immédiat, leur établissement. Donc une approche synchronique.
« Nous, on veut plutôt voir sur le long terme, c’est-à-dire regarder la vague d’immigrants qui sont arrivés au début des années 2000, quand on a changé les quotas pour atteindre une certaine cible d’immigrants francophones dans les communautés de langue officielle en situation minoritaire, et voir ce qu’ils sont devenus quelque 20 ans plus tard, comment ils ont contribué à la communauté francophone mais aussi manitobaine. »
Les finances d’abord
Six mois après la présentation publique de la recherche, c’est surtout dans le domaine financier qu’action il y a eu.
« On a œuvré sur plusieurs fronts pour faire des demandes de subventions, notamment auprès de bailleurs de fonds fédéraux comme le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada », rapporte Patrick Noël.
Le coût estimé de la première partie de la recherche est de 45 000 $.
Grâce à un fonds de démarrage obtenu par le biais d’une entente entre l’AFMM et l’USB, le groupe a tout de même pu embaucher des assistants de recherche et commencer en parallèle le volet qualitatif de la recherche.
« Essentiellement, ils ont débuté une revue substantielle et rigoureuse de la littérature, et pas seulement des études portant sur les immigrants francophones au Manitoba. On cherche aussi des pistes ou des questionnements qui ont pu être posés dans d’autres contextes et qui pourraient être pertinents pour notre recherche. »
Par ailleurs, le groupe de recherche est en train de finaliser les questionnaires qui seront utilisés pour les entretiens individuels et de groupes d’immigrants, dans le cadre du volet qualitatif de la recherche.
« Ces entretiens devraient débuter à l’automne 2025, indique Patrick Noël, à condition qu’on ait obtenu la certification éthique. C’est une procédure un peu longue, mais nécessaire quand on fait de la recherche sur des êtres humains. »
Quant au recrutement des sujets d’étude eux-mêmes, « on a déjà commencé de façon informelle par le biais de nos partenaires communautaires, en premier lieu l’AFMM qui a des contacts avec beaucoup d’immigrants. Mais on lancera aussi un appel plus formel vers la fin de l’été, à travers les médias sociaux notamment ».
Le chercheur Patrick Noël estime que le volet qualitatif de la recherche s’étalera sur une année, à laquelle il faudra ajouter un ou deux ans pour la partie quantitative.
Quelques chiffres sur l’immigration au Manitoba
En 2021 au Manitoba, selon Statistique Canada, on dénombrait quelque 257 620 personnes immigrantes, soit 19,7 % de la population totale, dont 4,5 % qui étaient arrivées depuis le recensement précédent de 2016.
Au niveau de la population active de Winnipeg, la population immigrée représentait un tiers des travailleurs en 2021 et permettait de répondre aux besoins de main-d’œuvre dans plusieurs secteurs d’activités : soins de santé et assistance sociale (14 % des emplois tenus par des immigrants francophones), commerce de détail (11 %), administration publique (8 %), ou encore fabrication (8 %).
Par ailleurs, selon le Profil économique : Winnipeg (RMR) (Manitoba) du Gouvernement du Canada, entre 2011 et 2021, la population active immigrante a augmenté de 45 % à Winnipeg et de 46 % dans toute la province.
Sans l’apport de l’immigration, le Grand Winnipeg pourrait d’ici 2031 perdre 33 % de sa population active et 31 % de ses emplois faute de main-d’œuvre.
En dehors de Winnipeg, la population active de Brandon était composée en 2021 de 22 % de travailleurs immigrants, celle de Morden, de 25 % de travailleurs immigrants, – ce qui représente une augmentation record de 138 % depuis 2011 -, et la région de la rivière Seine comptait parmi sa population active 15 % de travailleurs immigrants.
Pour ce qui est des immigrant.e.s d’expression françaises, il n’y a pas de données relatives à leur activité. Statistique Canada nous apprend cependant qu’en 2021, 4,1 % de la population immigrante au Manitoba pouvait s’exprimer en français (français seulement ou français et anglais).
Parmi les secteurs d’activité où les immigrant.e.s francophones ou bilingues trouvent le plus facilement un emploi : l’éducation, les soins de santé, l’administration publique, le transport, la logistique, le commerce, les centres d’appel, l’agroalimentaire et la transformation alimentaire, la fabrication, l’aérospatiale, la biotechnologie, les technologies de l’information et des communications, le tourisme, ou encore l’énergie et l’environnement.