IJL – Réseau.Presse – La Liberté
Son histoire a fait beaucoup parler en cette fin d’été. Pendant la rafle des années 1960, Jonathan Hooker est arraché à sa famille et son foyer à Moose Lake, il est alors âgé de 18 mois. Après 52 ans, il a finalement retrouvé sa mère biologique à l’aéroport de Winnipeg le mercredi 27 août.
En plus de sa mère biologique, Jonathan Hooker a aussi été en mesure de retrouver sa demi-sœur et son oncle.
Il s’agit bien sûr d’une belle histoire, mais pour un grand nombre des quelque 20 000 enfants des Premières Nations, des Métis et des Inuits qui ont été enlevés à leur famille (1) il s’agit encore d’un rêve.
Lors de l’arrivée de Jonathan Hooker, Coleen Rajotte, défenseuse des survivants de la rafle déclarait la chose suivante : « Nous ne pouvons pas continuer à faire ça au cas par cas ».
Katherine Strongwind est la directrice de l’organisation 60s Scoop Legacy of Canada. Elle regrette elle aussi l’absence d’effort coordonné avec les provinces pour permettre ce genre de réunion.
En 2023, le gouvernement provincial du Manitoba avait accordé un financement à l’organisation pour la tenue d’une conférence avec des survivants, ici, à Winnipeg.
« À l’issue de cette conférence, nous avons rédigé un rapport comprenant huit recommandations afin de nous aider à retrouver nos familles et à réparer une partie des torts qui ont été causés. »
Les recommandations, dans les grandes lignes, invitent la Province du Manitoba à consacrer un financement à long terme envers un programme de guérison dirigé par des survivants. Un accès rapide aux dossiers d’adoption et de protection de l’enfance pour soutenir les demandes de statut autochtone, de citoyenneté métisse, la réunification des familles et les recherches sur les origines.
Certains points encouragent également la mise en place de services de rapatriement et de réunification qui comprendrait les frais de déplacement et de transport.
À ce jour, « nous avons embauché un travailleur social au sein de l’unité du registre postadoption des services à l’enfance et à la famille, mais aucune des autres recommandations n’a été mise en œuvre », regrette Katherine Strongwind.
Cependant, le registre postadoption a évolué un peu et continue lentement de le faire pour permettre plus facilement aux personnes de rétablir leur statut ou leur citoyenneté métisse.
Aujourd’hui, il est difficile de définir avec précision le nombre exact d’enfants ayant été adoptés, et il en va de même pour savoir combien d’entre eux cherchent aujourd’hui à renouer avec leur identité et leur famille biologique.
Toutefois, 60s Scoop Legacy of Canada compte plus de 5 000 personnes sur son groupe Facebook et le groupe manitobain compte, lui, près de 2 300 membres.
« C’est un mélange de survivants, mais aussi de mères biologiques. »
Les exemples de personnes en recherche ne manquent d’ailleurs pas, mais les obstacles sont encore trop nombreux.
D’abord, beaucoup des documents d’archives ont été perdus ou ont disparu dans des incendies, notamment en Saskatchewan. Ensuite, pour les enfants autochtones qui ont été élevés en Europe, en Australie, aux États-Unis ou encore en Nouvelle-Zélande, la distance physique avec les institutions canadiennes représente également une difficulté supplémentaire.
Enfin, les informations essentielles à la découverte de sa généalogie sont détenues par les Services consécutifs à l’adoption du Manitoba. Seulement, là encore, le processus n’est pas forcément évident.
Raymond Frogner, directeur des archives du Centre national pour la vérité et la réconciliation (CNVR) explique :
« Chaque province à des règles différentes. Au Manitoba, les parents et les enfants doivent tous deux accepter de partager leurs informations personnelles. » Par souci de confidentialité, les documents obtenus sont parfois caviardés et limitent ainsi l’accès à l’information.
Les archives du CNVR peuvent également servir dans le cas des survivants de la rafle des années 1960.
« Nous pouvons donner le contexte de la naissance, la ville, l’hôpital, mais si les parents ont souhaité rester anonymes alors on ne peut pas faire plus. »
Seulement, Katherine Strongwind fait valoir une certaine dimension d’urgence autour de la problématique.
« Nos survivants vieillissent et leurs parents aussi. Beaucoup de nos survivants ont aujourd’hui entre 60 et 70 ans. J’éprouve donc un vrai sentiment d’urgence pour que certaines de ces recommandations soient mises en place, et pour continuer à réclamer une enquête nationale avant que nous perdions davantage de survivants. »
(1) Il s’agit d’une estimation de l’auteur H. Philip Hepworth publié dans son livre Care and Adoption in Canada (1980)