Au Manitoba, les ressources pour les femmes victimes de violence conjugale sont limitées et souvent saturées. Le manque de services en français n’arrange en rien la situation.

C’est un point qui avait été soulevé par Jean-Michel Beaudry, directeur général de la Société de la francophonie manitobaine (SFM) lors du dernier forum de la francophonie 2025.

Pendant sa prise de parole, il soulignait l’absence, au Manitoba, de maisons de première étape francophones ou en mesure de délivrer des services en français dans la Province.

Dans le contexte de violences familiales, les maisons de première étape servent de refuges temporaires, pour les femmes et les enfants victimes de violences dans leur foyer.

Pour qualifier ces femmes-là, on parlera de survivantes.

Il faut donc d’abord s’assurer qu’effectivement, la province ne compte pas de maison de première étape francophone.

Pauline Ambec, directrice générale de l’organisme Pluri-elles est catégorique, il n’y en a pas.

Le problème est d’ailleurs plus profond que ça, en réalité s’il en existe un peu partout dans la province, une seule dessert la ville de Winnipeg et ses environs : Willow Place.

La directrice générale de Pluri-elles souligne ensuite l’importance de ces établissements.

« Les maisons de première étape jouent un rôle essentiel en matière de sécurité. Elles assurent que la survivante puisse quitter immédiatement son environnement. On est dans l’urgence. »

Ces refuges temporaires assurent donc une prise en charge émotionnelle immédiate bien sûr et un endroit sécuritaire où passer la nuit, le temps que les options de la survivante soient évaluées.

Pour bien comprendre, lorsqu’une survivante prend la décision de s’échapper de son foyer, elle peut aller chercher de l’aide auprès de plusieurs organismes. Admettons ici que l’appel soit dirigé vers Pluri-elles.

Carine Nno Endamane travaille en tant que conseillère pour Pluri-elles. Elle explique la démarche.

« Nous intervenons dès le départ. Nous faisons appel aux services à la famille, Infojustice et parfois, la police. Une fois que l’on a sorti ces femmes de leur situation, nous les orientons vers Willow Place. C’est eux qui les orientent ensuite vers des refuges de longue durée, des maisons de seconde étape. »

Une maison de seconde étape francophone que l’on peut citer serait ChezRachel.

Sonia Grmela, directrice générale de ChezRachel, précise d’ailleurs qu’il n’est pas nécessaire que les survivantes passent par une maison de première étape pour avoir accès aux programmes de soutien psychologique et d’hébergement que propose l’organisme francophone.

Elle explique : « Beaucoup de femmes sont dans des situations d’urgence, mais ne souhaitent pas forcément se rendre dans ces refuges temporaires. Il y a un côté stigmatisant, ça peut être très stressant et il n’y a parfois simplement pas de place. Elles peuvent nous contacter à partir d’un lieu où elles sont relativement en sécurité et on peut commencer à travailler avec elles. »

Dans ces maisons de seconde étape, l’on prépare alors une transition vers une nouvelle vie.

Il est important de préciser aussi que la situation financière des survivantes ne rentre pas dans l’équation lorsqu’il s’agit d’obtenir de l’aide pour se loger.

Trouver de l’aide dans sa langue

L’absence de travailleuses francophones dans les maisons de première étape est une problématique importante.

En particulier pour les femmes issues de l’immigration qui ne parlent pas l’anglais. Pour un organisme comme Pluri-elles, cela signifie parfois une perte de temps conséquente dans l’offre d’aide.

Carine Nno Endamane évoque un cas dans lequel s’entretenir avec une personne francophone aux Services à l’enfant et à la famille de la Province a été l’affaire de toute une journée.

Cet accès au français est donc particulièrement important et pour plusieurs raisons.

D’abord, ne pas trouver de services en français peut décourager les personnes non bilingues d’aller chercher de l’aide.

Mais c’est aussi primordial dans l’accompagnement et la prise en charge émotionnelle.

« C’est très important parce qu’il faut être sûr que la personne en face de vous vous comprend et qu’elle sera capable de s’exprimer en votre nom. Être rassuré et se sentir en sécurité dans sa langue », explique la conseillère.

Et Pauline Ambec élabore.

Elle rappelle à quel point la décision de parler et d’envisager de s’en sortir est extrêmement difficile.

« Sortir une personne ne garantit pas qu’elle ne retournera pas vers son partenaire. Alors si l’on rajoute à cela les obstacles liés à la langue et l’accessibilité… Ça accentue le sentiment d’impuissance. »

Sonia Grmela partage elle aussi un point important qui intervient dans les situations d’urgence et qui peut avoir des répercussions plus tard dans le processus de guérison et d’action juridique.

« Lorsqu’il faut envoyer de l’aide immédiatement, les services de police n’ont parfois pas le temps de dépêcher des agents bilingues. Cette étape est cruciale parce que c’est là que l’on enregistre ce qu’il s’est passé. Et quand une femme n’est pas en mesure de bien s’exprimer en anglais, ça peut impacter les dépositions et il y a des choses qui se perdent. »

C’est un cas de figure qui s’est déjà produit, selon la directrice.

Un manque de ressources général

Parce que Willow Place répond à une situation d’urgence, il est important que les séjours là-bas soient aussi courts que possible.

Toutefois, selon Carine Nno Endamane, la situation actuelle ne le permet pas systématiquement.

« Nous avons des cas où les femmes sont encore à Willow parce qu’il n’y a pas encore de place ChezRachel. »

Pauline Ambec martèle également qu’il existe un manque « criant » de ressources des deux côtés de la langue.

Cela va sans dire, ce manque est synonyme de danger pour les femmes victimes de violence.
Ce manque de ressources pèse aussi très lourd dans les milieux ruraux de la Province.

C’est un fait au Manitoba, les villages qui se trouvent loin des grands centres urbains sont particulièrement isolés, par l’absence de transports en commun notamment.

« L’isolement donne davantage d’occasions au partenaire violent de faire du mal », fait valoir Sonia Grmela, qui ajoute, « de plus, lorsqu’une femme trouve le courage de quitter son environnement, et qu’elle commence à reprendre un peu d’indépendance, c’est le moment le plus dangereux pour elle. Parce que le partenaire perd le contrôle et le pouvoir ».

Alors la création d’une maison de première étape francophone serait bien sûr la bienvenue.

Mais Sonia Grmela reste réaliste. La solution réside d’abord dans la création de refuges supplémentaires et l’idéal serait que des services en français soient disponibles partout.

Cela devient alors un problème de ressources humaines. Et cela représente un tout autre problème en soi.

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