Or, cinq jeunes diplômés en droit de l’Université du Manitoba viennent tout juste d’obtenir leur diplôme professionnel avec une concentration en accès à la justice en français (A2JF).

Une étape modeste en chiffres, mais lourde de sens : elle illustre qu’une relève bilingue s’organise pour répondre à un besoin criant, celui de permettre aux citoyens d’être entendus et compris dans la langue officielle de leur choix.

Cinq étudiants, un même engagement : faire entendre la voix des francophones devant les tribunaux. En juin 2025, ils sont devenus les premiers diplômés de l’Université du Manitoba à obtenir leur diplôme de droit avec une concentration en accès à la justice en français (A2JF).

Depuis 2011, les étudiants avaient la possibilité de suivre certains cours de droit en français, mais ce n’est que depuis 2022, que ces derniers ont été officiellement intégrés à la graduation.

Les cinq élèves dont il est question (1) ont donc dû compléter au moins 26 des 92 crédits nécessaires à leur diplôme, en français.

Retour sur expérience

Brent Tichon et Maia Bacchus font tous deux partie de la plus récente cohorte de diplômés.

Pour l’un comme pour l’autre, la volonté de poursuivre la pratique du français après des années en école d’immersion était évidente et pour Maia Bacchus, le choix s’est imposé de lui-même.

« J’ai toujours su que je voulais continuer à améliorer mes compétences en français et lorsque j’ai découvert que la faculté de droit de l’U of M proposait cette spécialisation j’ai voulu profiter de l’occasion de le faire près de chez moi! »

Elle souligne d’ailleurs que le fait d’être bilingue lui a été « extrêmement » utile dans sa vie et sa carrière.

Au-delà des portes que le bilinguisme lui a ouvertes, la jeune diplômée se réjouit également d’avoir fait la connaissance d’une communauté, dont elle fait désormais partie.

« Le fait de pouvoir participer à la concentration en français m’a donné accès à des professionnels établis et à des collègues. Cela m’a ouvert les portes d’une communauté très soudée qui se soutient mutuellement. Il était donc très important pour moi de pouvoir faire partie de cette communauté. »

Brent Tichon lui, est plus pragmatique.

« Pour moi, il n’y avait pas de nécessité à travailler dans les deux langues, mais je voulais m’assurer que j’avais la capacité de le faire. Beaucoup d’emplois requièrent d’être bilingue. C’est aussi utile pour être en mesure de lire et comprendre certains dossiers. Pour moi, c’est quelque chose de vraiment pratique. »

Si c’est la perspective d’élargir son éventail de compétences qui a initialement attiré les deux étudiants de droit, ils ont finalement tous les deux trouvé quelque chose de spécial dans cette concentration en accès à la justice en français.

« C’était une petite communauté et nous sommes tous devenus très bons amis, explique Brent Tichon. J’ai commencé pour des raisons pratiques, mais je suis resté, car j’ai aimé les cours et les gens. »

Maia Bacchus renchérit : « Je m’y suis tenue, car le temps, l’énergie et le soutien des enseignants et des professeurs, ainsi que de tous les professionnels de la communauté qui sont venus à nos cours et à nos évènements, sont incomparables. C’est vraiment une expérience formidable. »

Combler un manque

Dre Lorna Turnbull, professeure et directrice de la concentration A2JF, se souvient du constat qui a initié la mise en place de ces cours.

Dre Lorna Turnbull, professeure et
directrice de la concentration A2JF.
Dre Lorna Turnbull, professeure et directrice de la concentration A2JF. (photo : Marta Guerrero)

Elle indique d’abord qu’il y avait de la demande et que les avocats du Manitoba qui étaient francophones faisaient valoir un manque de personnel pour répondre aux besoins de la communauté.

C’est ensuite un travail de collaboration entre la professeure, Gerald Heckman, son collègue, à l’époque président de l’Association des juristes d’expression française du Manitoba (AJEFM) et aujourd’hui juge de la Cour d’appel fédérale et maître Guy Jourdain.

« Maître Guy Jourdain nous a indiqué qu’il existait des fonds d’appui d’accès à la justice dans les deux langues officielles. Nous avons donc fait une demande auprès de Justice Canada. Au fur et à mesure du temps, d’autres cours ont été développés jusqu’en 2022 où nous avons fait notre demande pour que le programme soit approuvé par le Sénat. »

Sans être en mesure de donner les chiffres exacts, Dre Lorna Turnbull indique que depuis 2011, le gouvernement fédéral a investi plus de 2 millions $ vers ces cours, « 200 000 $ cette année », dit-elle.

Tout au long du processus qui a permis d’en arriver là, la collaboration avec le monde juridique francophone du Manitoba n’a cessé de jouer un rôle important.

« Tout s’est fait avec la rétroaction et la participation de la communauté. Souvent, c’étaient des avocats ou des juges qui étaient invités, parfois responsables de cours. »

Cette collaboration se poursuit d’ailleurs même en dehors des salles de classe.

C’est ce que souligne Tarik Daoudi, directeur général de l’AJEFM.

Il explique que des postes d’été, parfois des postes à temps partiels sont offerts aux étudiants de la concentration.

« C’est quelque chose qui fonctionne bien, ça nous donne un peu de main-d’œuvre, mais en même temps, c’est un investissement à long terme, ça permet le développement de futurs juristes et avocats bilingues. »

Après tout, l’un des principaux intérêts de cette concentration, c’est qu’elle vient répondre à une pénurie de main-d’œuvre dans le domaine juridique manitobain.

De manière générale, c’est en tout cas ce que relève Dre Lorna Turnbull, la plupart des étudiants concernés par la concentration sont issus de l’immersion et n’ont pas nécessairement le français comme langue première.

D’ailleurs, au-delà d’apprendre le droit, le programme a été pensé pour renforcer d’abord les capacités linguistiques.

« Les cours mettent l’accent sur les compétences que l’on a jugé être les plus importantes. L’une d’entre elles est la confiance d’un avocat à parler en français devant un tribunal. Les cours visent donc vraiment à développer les compétences orales. »

Cette collaboration permet donc, à la fois, de renforcer leurs capacités, mais aussi leur confiance à exercer leur métier dans les deux langues, mais ça démontre aussi aux futurs juristes que le métier se pratique aussi en français dans la province.

C’est aussi la preuve qu’un besoin concret existe pour une partie de la communauté et qu’il ne s’agit pas seulement de remplir les conditions des Chartes et des Lois.

« Ils rencontrent de vraies personnes, avec de vrais problèmes. Au minimum, ils seront sensibilisés au droit linguistique et c’est important », fait valoir Tarik Daoudi.

Et c’est en soi rassurant, puisque le manque de bilinguisme dans le système juridique est toujours une réalité aujourd’hui selon Tarik Daoudi.

(1) Maia Bacchus; Alexander Bastin; Cody Buhay; Samantha Pearce et Brent Tichon.

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