Néanmoins, certains aspects du marché du travail manitobain dénotent certaines fragilités.
À l’échelle nationale, la situation paraît préoccupante : en août, 66 000 emplois avaient été perdus, au cours des 18 derniers mois, et l’économie a connu un ralentissement général, contribuant au pourcentage du taux de chômage.
En effet, avec 5,7 % de taux de chômage en août 2025, la province s’en sort mieux que la moyenne canadienne de 7,1 %.
Des chiffres qui ne sont pas si surprenants si l’on en croit le professeur Adam King, de l’Université du Manitoba :
« Traditionnellement, les prairies, le Manitoba et la Saskatchewan affichent un taux de chômage inférieur à celui du reste du pays. Ce sont deux provinces très diverses, et c’est une tendance qui a toujours existé. Pourtant, même si le Manitoba affiche un taux de chômage inférieur à la moyenne, ce chiffre a tout de même augmenté comparativement à 2022. »

Disparités régionales
Derrière la moyenne provinciale avoisinant 5,7 %, les chiffres varient à l’intérieur des frontières manitobaines.
La ville de Winnipeg affiche un taux de chômage de 6,2 % en août, plus élevé que la moyenne du Manitoba.
Cependant, Winnipeg a vu son taux d’emploi progresser en un an, notamment grâce à des secteurs comme la santé ou l’aide sociale, qui demeurent dynamiques, avec une forte demande.
Un taux d’emploi qui augmente également du fait de la croissance démographique de la ville, de nouveaux arrivants et de la présence d’entreprises comme NFI Group, spécialisée dans les bus électriques et qui emploie environ 3 000 personnes.
Dans la région du Sud-Est et de l’Interlake, la situation semble plus favorable. Avec des taux de chômage de 4,8 % pour le Sud-Est, et de 4,4 % pour Interlake en juillet.
Le professeur Adam King rappelle que ces écarts sont récurrents et font partie d’un schéma très simple : le taux de chômage plus haut à Winnipeg veut juste dire qu’il y a plus de chercheurs d’emplois à Winnipeg que dans les zones rurales.
À noter qu’une partie de la hausse des emplois annuels dans le Sud-Est provient du secteur de la construction, illustrée par le projet de centre communautaire de Lorette, évalué à 29 millions $ et dont la finalisation est prévue fin 2026.
Secteurs sous tension
Plusieurs secteurs sont sous tension ; les industries manufacturières, l’automobile, l’ameublement, l’agroalimentaire, l’électronique ainsi que la transformation du bois et du papier qui figurent parmi les plus exposés aux tensions commerciales avec les États-Unis.
Néanmoins, le Manitoba est quelque peu « épargné », en comparaison de provinces comme l’Ontario ou le Québec, explique le professeur, mais le facteur majeur réside dans l’incertitude.
Les investisseurs vont davantage hésiter à investir, car « impossible de savoir quelle sera la situation dans les deux prochaines semaines ».
Les domaines du transport et de la construction peuvent donc être considérés comme fragiles, en réalité, il s’agit plus d’une question d’offre et de demande. Joël Lemoine, directeur de l’appui aux entreprises du Conseil de développement économique des municipalités bilingues du Manitoba (CDEM), explique que « pour construire, il faut des produits qui seront ensuite tarifés à 15 ou 20 %.
Mais la demande est forte, donc on achète des produits de façon plus locale, ou via Trans-Canada ».
La fonction publique connaît, elle aussi, quelques secousses.
Dans un rapport récent du Centre canadien de politiques alternatives (CCPA), l’économiste David Macdonald estimait que la fonction publique canadienne pourrait supprimer jusqu’à 57 000 postes d’ici quatre ans.
Une réponse provinciale serait souhaitée par le professeur Adam King, afin de « veiller à ce que les coupes budgétaires au niveau fédéral n’aient pas trop d’impact sur les travailleurs manitobains ».
Au Manitoba, ce sont plus de 13 000 agents fédéraux qui étaient recensés en mars dernier, ce qui placerait la province dans une situation délicate face à d’éventuelles coupes d’effectifs.
D’après Joël Lemoine, du CDEM, la diversité économique du Manitoba est un atout : « on a de grands employeurs, on est une province dans laquelle on ne met pas tous nos œufs dans le même panier ».
Il met aussi en valeur la vitalité des secteurs, en particulier dans la logistique, l’import-export, le commerce de détail, car « on est au centre du Canada, donc pour la logistique, c’est intéressant parce qu’on peut livrer jusqu’à Toronto ou Calgary », assure-t-il.
Les plus touchés
Cette dynamique d’augmentation du taux de chômage touche particulièrement les plus jeunes, de 15 à 24 ans, dont le taux de chômage atteint près de 14 % à l’échelle nationale.
Cette moyenne s’explique de diverses façons.
D’après le professeur Adam King « les plus jeunes n’ont pas vraiment pu tirer profit de l’amélioration du marché du travail après la pandémie ».
Il insiste même sur le fait que ces chiffres soient « à ce jour, très importants, voire les plus importants depuis des décennies ».
Pour Joël Lemoine, il faut que les jeunes et les étudiants fassent preuve de prévoyance. Il les invite à se renseigner et à tenter d’appréhender l’avenir car « les emplois les plus demandés aujourd’hui, ne le seront pas forcément demain, et certains métiers se retrouvent impactés par le développement des intelligences artificielles ».
Dans la même mouvance que les jeunes, les femmes, elles aussi, ont été affectées par le resserrement post-pandémie, et l’on observe donc des disparités selon le genre.
Chez les femmes de plus de 25 ans, le taux de chômage est passé de 4 % en août 2024 à 5 % en août 2025, et le taux d’emploi a reculé de 58,7 % à 57,7 % à la même période.
À l’inverse, la situation des hommes du même groupe d’âge, aux mêmes périodes, s’est améliorée avec un taux de chômage passant de 5,2 % à 4,1 %.
Le professeur Adam King nous apporte un éclairage sur la place des femmes au sein du marché du travail :
« Juste après la pandémie, alors que le marché du travail était limité, plus de femmes ont fait leur entrée sur le marché du travail, si bien qu’aujourd’hui, les premières personnes à perdre leur emploi sont les femmes. Il en va de même pour les jeunes travailleurs. »
Le temps partiel
Derrière ces chiffres, il faut distinguer une réalité plus complexe.
Comme nous l’explique Adam King, prendre en compte le taux de chômage est pertinent mais il est nécessaire « d’en savoir plus pour avoir un aperçu du relâchement économique ».
Quand on parle de taux de chômage, on parle des personnes qui sont en recherche active d’emploi, de divers emplois.
Ces dernières années, le Manitoba a gagné des emplois à temps partiel, mais a perdu de nombreux postes à temps plein.
Pour Joël Lemoine, , il s’agit de répondre aussi aux besoins de la population car « ce n’est pas tout le monde qui souhaite travailler à plein temps, il faut un équilibre ».
Toutefois, selon Adam King, une personne sur dix, soit près d’un tiers des personnes qui travaillent à temps partiel, ne le fait pas de façon volontaire, mais plutôt faute de pouvoir obtenir un poste à temps plein.
Entraînant alors des problèmes au regard des conditions de vie de ces travailleurs, des montants des salaires pour vivre, du bien-être voire de la santé mentale de ces travailleurs.
« Nous laissons cette main-d’œuvre inexploitée. Dans cette économie, c’est comme si nous n’utilisions pas les ressources dont nous disposons, Adam King poursuit, c’est comme laisser un paquet d’argent traîner et ne rien en faire, c’est la même chose avec ces travailleurs qui aimeraient travailler davantage. »
Perspectives
Certaines initiatives peu- vent permettre d’influencer le marché du travail manitobain.
Le CDEM applique une politique de renforcement du marché de l’emploi en partenariat avec l’Association des municipalités bilingues du Manitoba (AMBM).
Dans ces municipalités, le but est de combler les besoins des employeurs, explique Joël Lemoine, « d’aller à leur rencontre et de leur demander quels sont leurs besoins, afin de faire une correspondance avec les offres emploi-client reçues ».
Chez les nouveaux arrivants, le bilinguisme constitue un levier sur le marché de l’emploi et l’entrepreneuriat. Joël Lemoine rappelle qu’il ne faut pas oublier les communautés rurales quand on parle d’entrepreneuriat.
« Tout le monde a besoin d’avoir un dépanneur ou un épicier près de chez soi ».
Si l’on souhaite avancer vers l’amélioration du marché du travail manitobain, d’autres aspects sont à prendre en considération.
Outre les tensions commerciales avec les États-Unis et les politiques fédérales en matière de fonction publique, un autre critère s’impose dans la discussion, celui du salaire minimum qui vient de passer à 16$/heure au Manitoba. Nombreuses sont les personnes qui vivent avec le revenu minimum, et pour Adam King, « il y a encore beaucoup à faire pour amé- liorer la situation des travail- leurs, en particulier des étudiants et des nouveaux arrivants, qui gagnent un salaire très bas ».
De plus, il semble indispensable de tenir compte de la difficulté pour les travailleurs d’être représentés et d’adhérer à un syndicat, insiste Adam King.
« Le gouvernement provincial a réintroduit l’accréditation sur vérifications des cartes pour les syndicats, c’est une évolution positive qui donne plus de pouvoirs aux travailleurs, mais il reste encore beaucoup à faire », conclut-il.