Au Manitoba, les inquiétudes se multiplient face aux éventuels dangers derrière ces exploitations.

Au sud de la frontière manitobaine, dans le Dakota du nord, deux projets de fermes laitières industrielles vont voir le jour.

La société américaine Riverview LLP, prévoit de construire deux exploitations à moins de 3 kilomètres de la rivière Rouge.

L’une sera située à Abercrombie, avec une capacité de 12 500 vaches.

La seconde, à Herberg, qui prévoit d’accueillir jusqu’à 25 000 têtes de bétail.

Bien que ces exploitations soient établies sur le sol américain, leur proximité avec la rivière Rouge est perçue pour de nombreux Manitobains comme une menace directe pour le lac Winnipeg.

Des inquiétudes

En effet, la rivière Rouge s’écoule vers le nord pour se jeter dans ce lac, déjà considéré comme fragile notamment à cause de l’eutrophisation.

Ce phénomène, lié à la décomposition des algues bleu-vert, entraîne l’asphyxie de la faune et de la flore aquatique.

Pour le professeur Mario Tenuta, professeur au département des sciences du sol à l’Université du Manitoba, « le phosphore est le nutriment qui pose le plus grand problème. Les animaux en consomment beaucoup par l’alimentation. Le reste se retrouve dans le fumier. Si on continue d’appliquer du fumier sans prendre en compte le niveau déjà présent dans les sols, c’est là qu’est le risque, car ils peuvent devenir extrêmement élevés ».

En ce sens, des questions sont donc soulevées au regard des conséquences à long terme pour l’environnement.

Des associations, telles que Save Lake Winnipeg, ou Animal Justice, militent fermement contre ces projets qui, selon elles, représentent des menaces d’un point de vue biologique, de qualité de l’eau, et même de bien-être animal.

Dans le communiqué du 23 août d’Animal Justice, Kaitlyn Michell, avocate winnipégoise affirmait que : « Les risques réels que constituent ces méga-exploitations laitières nous rappellent de manière frappante que la santé et le bien-être des animaux élevés à des fins alimentaires sont étroitement liés à la santé des êtres humains et des écosystèmes dont nous dépendons tous. »

Interrogées par La Liberté, les autorités du Dakota du Nord, à l’origine du permis de construction de ces méga-fermes, assurent que le processus de délivrance des permis est le fruit d’une enquête rigoureuse.

Marty Haroldson, directeur de la Division of Water Quality du Department of Environmental Quality (DEQ), affirme que DEQ « identifie ce qui doit être clarifié, exige des documents complémentaires, puis soumet le projet pour consultation publique. Si tout est conforme à la réglementation, le permis est ensuite délivré ».

Des suivis prévus

Marty Haroldson affirme que les deux projets d’« exploitations dépassent largement les exigences minimales ».

Dans le but de garantir la bonne gestion des fumiers et eaux usées, il insiste également sur le fait qu’un suivi est prévu par son département : « des inspections sont réalisées au moins une fois par an, avec la possibilité de visites supplémentaires, si nécessaire ».

Dans la plupart des cas, les exploitants seront prévenus des visites en amont, néanmoins il n’exclut pas la possibilité de multiplier les visites.

Pour le professeur, ce qui importe dans le cadre de ces suivis, c’est non pas uniquement leurs fréquences mais leur rigueur, car les producteurs « devraient être tenus de préparer des plans de gestion du fumier détaillés, justifiant les doses appliquées en fonction des analyses de sols et des besoins des cultures. Sans ce contrôle, le phosphore s’accumule et devient pratiquement impossible à retirer ».

Au regard des déversements, le directeur de la Division of Water Quality souligne que les installations des méga-fermes ne sont pas conçues pour déverser leurs déchets directement dans l’environnement, mais pour stocker et réutiliser les déchets organiques de manière bénéfique. D’après lui, le fumier vient remplacer, et non s’ajouter aux engrais déjà utilisés.

« Ce n’est pas un ajout, c’est un complément. Quand les fermiers utilisent du fumier, ils réduisent l’usage d’engrais commerciaux », avance Marty Haroldson.

Selon le communiqué d’Animal Justice, les déchets de ces méga-fermes seront stockés dans un immense bassin nécessitant au minimum une superficie équivalente à 52 terrains de football canadiens.

Au Manitoba, le lac Winnipeg souffre déjà de la présence excessive de nutriments comme le phosphore ou l’azote qui surfertilisent l’eau.

Détecter les problèmes

Pour certains groupes, les risques semblent importants quant aux 37 500 vaches des exploitations et aux rejets de phosphore, d’azote et de nitrogène de ces vaches.

Néanmoins, pour le professeur Tenuta, bien que les inquiétudes restent légitimes, il faut aussi reconnaître que le fumier n’est pas un déchet, c’est selon lui un engrais riche parfois supérieur aux fertilisants chimiques.

Le problème réside dans le fait qu’on ne « peut pas contrôler précisément la quantité de nutriments qu’il contient, comme le phosphore par exemple », explique-t-il.

À cela, s’ajoute les risques de ruissellement, notamment au printemps, lorsque la neige fond, ou encore le problème de l’érosion des sols.

C’est donc là, pour le professeur, que se présente un danger, « un danger qui existe partout, mais qui est amplifié par la taille de ces exploitations ».

Pour Marty Haroldson du DEQ, il est également nécessaire de tenir compte des mesures de vérification mises en place en amont, du fait que le DEQ impose des revêtements d’argile dans les bassins, mais aussi qu’il suit de près les analyses de sol.

« Nous faisons de notre mieux pour détecter les problèmes avant qu’ils ne surviennent ».

Un enjeu transfrontalier

Ces exploitations laitières dépendent exclusivement des réglementations américaines en vigueur et des permis délivrés par le DEQ. Néanmoins, l’écoulement de l’eau ne connaît pas de frontières, et la dimension transfrontalière ne peut être ignorée.

Et si le projet Riverview LLP inquiète certains, le Canada et la Province n’ont en réalité que très peu de pouvoir légal direct.

Depuis 1909, le Traité des eaux limitrophes statue sur la gestion des eaux transfrontalières.

Ce traité est régi par la Commission mixte internationale (International Joint Commission), qui peut être saisie en cas de conflit ou de risque environnemental.

En août dernier, le ministère du Ministre de l’environnement, Mike Moyes, a envoyé une lettre aux coprésidents de l’International Red River Watershed pour exprimer ses inquiétudes.

Pour le professeur, c’est la coopération transfrontalière qui est à privilégier afin que « les standards de gestion soient harmonisés à l’échelle du bassin de la rivière Rouge, ce qui permettrait d’assu- rer un suivi commun des impacts », conclut-il.