Par Maxime MAINIERI – Avec des informations de Lê Vu Hai Huong
D’après les études du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA), au Canada, la proportion des personnes ayant de faibles compétences en lecture et écriture (niveaux 0 et 1) est passée de 19 % en 2012 à 24 % en 2024, toutes langues confondues. Donc, près d’un adulte sur 5 au Canada peut seulement lire des textes courts sur des sujets familiers et comprendre des phrases de base.
Les études révèlent aussi qu’environ 50 % des Canadiens se situent en dessous du niveau 3 de littératie, considéré comme le seuil minimal pour une participation pleine et entière à la société.
Un chiffre d’autant plus éloquent que les analphabètes sont « difficiles à analyser, car ils ont des stratégies pour éviter de lire », explique le président du RESDAC, Geoffroy Krajewski.
Il regrette d’ailleurs que les francophones en situation minoritaire n’aient pas été sondés séparément dans la dernière mouture de l’étude. Sans cette mise à jour, les plus récentes données datent de 2012, dit-il.
Le plus récent PEICA a été mené par Statistique Canada, qui défend son choix : « [Il] a été conçu pour évaluer les compétences à travers le Canada de manière à représenter fidèlement la population du pays dans son ensemble ainsi que celles de chaque province. Afin de produire une enquête fiable avec optimalisation des ressources, il a été décidé de se concentrer uniquement sur ces populations. Par conséquent, la taille de l’échantillon pour les minorités linguistiques était trop limitée pour permettre une analyse statistique robuste ou la diffusion de résultats désagrégés. »
Une absence dommageable
Pour Geoffroy Krajewski, l’absence de données précises sur les francophones est dommageable. Il cite l’étude de 2012, qui avait révélé un écart important entre francophones et anglophones.
« Au Nouveau-Brunswick, 62 % des adultes francophones étaient en deçà du niveau 3. En comparaison, on voyait que les anglophones étaient à 48 %. »
Quand vient le temps de suivre l’évolution de la situation, les données sont essentielles. Elles servent aussi à répartir les investissements équitablement, souligne-t-il.
« De pouvoir avoir des données spécifiques pour les francophones, ça permet de revendiquer une juste proportion de tout ce volume d’argent qui est dépensé [par le fédéral] au niveau du développement des compétences. »
La directrice générale de la Coalition ontarienne de formation des adultes, Gabrielle Lopez, ajoute que les données que fournirait le PEICA à propos des francophones permettraient aussi de mesurer le degré d’assimilation.
Un nouvel outil
Pour pallier le manque de données, le RESDAC développe TOPO RESDAC. En se basant sur différentes données existantes et des formules mathématiques, il extrapole des variables qui correspondent à la francophonie minoritaire.
Reconnaitre les apprentissages alternatifs
Le RESDAC est un regroupement d’organismes qui offrent des services d’éducation aux adultes en français en milieu minoritaire. Parmi ses objectifs, le réseau souhaite valoriser des pratiques alternatives dans une stratégie nationale pour la littératie.
« L’apprentissage non formel correspond aux gens qui développent des compétences via des formations, mais qui n’ont pas de valeur juridique. L’apprentissage informel est basé sur des compétences qu’on développe sans en avoir conscience », liste Geoffroy Krajewski.
Pour arriver à ses fins, le principal cheval de bataille du RESDAC est la Loi des langues officielles. Avec la Loi mise à jour en 2023, le gouvernement fédéral doit s’engager à assurer l’apprentissage des francophones en contexte formel, mais aussi informel et non formel. La Loi reconnait donc l’existence d’un apprentissage hors du cadre scolaire.
Le RESDAC fait du lobby auprès d’Ottawa pour mieux définir comment reconnaitre officiellement l’apprentissage informel.
Pour répondre à cette problématique de légitimité, l’organisme travaille sur la reconnaissance des badges numériques. « Cet outil donne une série d’informations sur les compétences de son porteur, il permet de voir le contexte d’apprentissage », décrit Geoffroy Krajewski. Lesdites compétences peuvent se compter par centaines et portent par exemple sur le leadeurship, le savoir-faire ou le savoir-être.
Face aux multiples spécificités des différentes minorités linguistiques, le RESDAC élabore également un catalogue de compétences linguistiques articulé autour du bilinguisme additif. « Nous souhaitons éviter le soustractif – à savoir la perte du français –, mais aussi mettre l’accent sur l’affirmation identitaire, l’engagement citoyen et le vivre-ensemble. »
Apprentissage par l’expérience
Parmi les membres impliqués dans le réseau, Jean Gauvin, retraité de 65 ans basé en Nouvelle-Écosse, a suivi 19 formations depuis 5 ans.
« Après 37 ans à travailler dans la boulangerie, j’ai fait un voyage en France et je me suis rendu compte que j’avais besoin d’apprendre le numérique, parce que je ne pouvais pas suivre le mode de vie d’aujourd’hui ». Il confie avoir eu son premier téléphone intelligent à 64 ans.
« Avec les cours, je me sens beaucoup impliqué dans la communauté, j’essaye de passer à un autre niveau pour faire des choses nouvelles. »
Le RESDAC lui a ainsi proposé un poste d’administrateur au sein du conseil d’administration. « On suit le déroulement des affaires, on donne notre opinion sur ce qui est planifié, détaille Jean Gauvin. J’expose aussi ce que j’ai fait dans la dernière année. »
Comme suivre des cours de français pour un niveau de littératie fonctionnel. « Ça m’a beaucoup aidé, apprécie l’apprenant. Quand on écrit des courriels, on peut être plus clair. J’ai pu communiquer avec le conseil municipal pour demander des fonds pour le centre communautaire. »