À travers la figure d’André Nault, Derrick Nault montre l’importance de revisiter les archives et de valoriser les alliés oubliés.
Le professeur Derrick Nault fait partie des huit nouveaux professeurs autochtones à rejoindre l’Université de Winnipeg en 2024. Le 18 octobre, lors de la 57e conférence algonquienne à l’Université de Winnipeg, il a présenté une partie de ses recherches.
Son travail s’inscrit dans une démarche de mise en valeur des mémoires et alliances métisses.
« Pour un lieu comme Winnipeg ou le Manitoba, où nous avons des personnes de différents horizons, l’histoire d’André Nault peut être inspirante. », affirme Derrick Nault.
En comparant les figures d’Honoré Jaxon et d’André Nault, Derrick Nault cherche à mettre en lumière la manière dont la mémoire collective et les archives façonnent la reconnaissance de certains alliés et en oublient d’autres.
Racines
Le professeur entretient une relation intime avec cette histoire.
« Je suis l’arrière-arrière-petit-fils de Nault », explique-t-il.
Bien qu’André Nault n’ait pas été Métis, Derrick Nault précise qu’il est lui-même Métis par d’autres ancêtres d’origines Crie et Assiniboine, intégrés culturellement à la communauté. Il ajoute que « deux de mes ancêtres ont fait partie du gouvernement provisoire de Louis Riel en 1885 : Jean-Baptiste Parenteau et Damase Carrière ».
« André Nault n’était pas simplement présent sur les terres aux prémices de la résistance. Il a toujours été là pour soutenir les Métis et au-delà, en se considérant comme faisant partie intégrante de cette communauté. »
Alliances
L’historien prend comme exemple la figure d’Honoré Jaxon, qui incarne un type de mémoire que Derrick Nault qualifie de settler memory (la mémoire du colonisateur).
Honoré Jaxon est né en 1861 à Toronto et est aussi appelé William Henry Jackson.
Il rejoint Louis Riel et les Métis en qualité de secrétaire de Riel lors de la résistance du Nord-Ouest en 1884-1885. Bien qu’il soit souvent présenté comme un allié fidèle et médiatisé, il n’a jamais participé directement aux combats, et sa contribution reste limitée.
Sa mémoire a été largement conservée, mais pour l’historien elle « n’a pas contribué à remettre en cause le système ».
À l’inverse, estime le professeur, la figure d’André Nault, né en 1830, offre un exemple d’alliance et de soutien profondément enra- ciné dans la communauté métisse.
André Nault, esquisse Derrick Nault, a « grandi à la Rivière-Rouge. Ses parents étaient originaires du Québec et n’avaient pas d’origine autochtone, même s’il a toujours été considéré comme membre de la communauté métisse ».
Cette filiation diffère de celle de son cousin germain Louis Riel, dont le père, Louis Riel senior, avait des ancêtres autochtones.
Les deux cousins étaient liés par leurs mères, Julie et Josephte Lagimodière, filles de Jean-Baptiste Lagimodière et de Marie-Anne Gaboury. En dépit de son origine, André Nault a pourtant été très actif dans la résistance métisse.
« André Nault, son frère Romain Nault et d’autres, ont mené les Métis pour occuper le fort Garry. C’est là que le gouvernement provisoire a été établi. André Nault a aussi siégé au tribunal militaire qui a condamné l’orangiste Thomas Scott. Il a voté en faveur de son exécution. »
Pendant son exposé, Derrick Nault a mentionné un extrait d’un article paru dans La Liberté du 30 août 1985, dans lequel Louis Riel aurait demandé conseil à André Nault la veille de l’exécution de Thomas Scott.
« Qu’est-ce que je dois faire, je ne sais pas si c’est une bonne idée. Devrions-nous vraiment exécuter Thomas Scott? Et André Nault lui aurait répondu qu’il devait le faire là, car avec du recul il ne le ferait jamais sinon. André Nault a voté en faveur de son exécution. »
Après sa fuite vers les États-Unis, André Nault, revenu au Manitoba en 1873, est arrêté pour le meurtre de Thomas Scott. Il sera libéré en 1874.
« À plusieurs reprises, André Nault a été arrêté, emprisonné et battu », note l’historien avant d’ajouter qu’il a également été poignardé « à coups de baïonnette, et même s’il a survécu, il en a gardé une énorme cicatrice à la tête ».
Pour Derrick Nault, le manque de reconnaissance autour d’André Nault étonne au regard de sa contribution à la cause métisse.
Car il est resté une figure active dans la communauté métisse.
En raison de son réel prestige, c’est lui qui a symboliquement présenté en 1910 le drapeau adopté par l’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba, organisation relancée sous l’égide de Roger Goulet.
Tout au long de sa vie, André Nault est resté fidèle à la communauté métisse, qu’il a soutenu sans chercher à se mettre en avant.
Comme le souligne Derrick Nault, « il a toujours été reconnu comme un patriote de la Nation métisse. En particulier, la communauté l’a honoré à son 60e anniversaire de mariage en 1920 ».
Mémoire
« Parce qu’il n’est techniquement pas Métis, je pense que les gens ne savent pas où le situer. Tout en n’étant pas Métis, il est pourtant membre de la communauté ce qui, d’une certaine manière, contribue à ce qu’il soit oublié ».
Selon Derrick Nault, l’oubli d’André Nault, parfois à tort qualifié de Métis, s’explique surtout par son origine non métisse et par la rareté des archives le concernant.
« Les traces sont éparpillées, contrairement à celles d’Honoré Jaxon, largement documentées », note-t-il.
La numérisation récente a permis de révéler des informations précieuses sur sa vie et son engagement.
« Ce qui a rendu les recherches plus faciles, c’est la numérisation », explique-t-il. Les nouvelles technologies lui ont permis de révéler des informations dans son travail, qui vise à repositionner la figure d’André Nault à la place qui lui revient dans l’histoire des Métis et dans la mémoire collective du Manitoba.
Lors de la conférence, le professeur a mentionné La Liberté comme une de ces sources d’archives.
En effet, dans l’édition du 24 décembre 1924, une nécrologie présente André Nault comme un « fidèle lieutenant de Riel » et un acteur central des évènements de la Rivière-Rouge.
D’ordinaire, indique l’historien, les alliés sont souvent décrits comme venant de l’extérieur, vivant une « épiphanie », apportant une aide ponctuelle, puis repartant, sans remettre en cause le système.
Honoré Jaxon illustre ce modèle , un allié reconnu mais dont l’impact réel au sein de la communauté métisse reste limité comparé à des figures comme André Nault.
Par le biais de cette figure historique, le professeur a voulu démontrer que la position d’allié « se construit de l’intérieur et pas de l’extérieur, mais à travers les relations entre les personnes ».
Extrait de La Liberté du 24 décembre 1924
« Il est regrettable que l’histoire n’ait pas toujours rendu justice à ces belles et grandes figures : Riel, avec sa puissance et sa sûreté de conception ; Lépine avec sa bravoure allant jusqu’à la témérité, son énergie et surtout sa poigne de fer qui le laissait toujours maître des hommes et des situations ; Nault et Goulet, toujours prêts à l’action, incarnant la soumission, la fidélité à toute épreuve, la foi en leur chef et en la justice de la cause qu’ils servaient. André Nault était le dernier qui restait des principaux acteurs des temps héroïques de l’Ouest. Sans doute il en reste encore qui sont dignes de mention ; mais à ceux sur qui tombent la responsabilité des actes, ceux qui ont payé de leur personne — Riel, Lépine, Goulet, Nault — l’avenir gardera une reconnaissance éternelle. »


