Jusqu’au 22 novembre 2025, les visiteurs peuvent marcher, littéralement, à travers la mémoire du Manitoba. Entre perlage, photographie, artefacts naturels et archives familiales, l’artiste métisse réinscrit la présence de ses ancêtres dans un territoire souvent effacé des récits officiels.

Native de Saint-Boniface, Lilian Bonin se définit comme « artiste multidisciplinaire », mêlant peinture, photographie et perlage, une pratique métisse qu’elle décrit comme « une connexion tangible à mon passé ».

Pour l’artiste, l’exposition Cartographie de mémoire « explore les origines du lieu, de la famille et du Manitoba ».

Héritage métis

Le point de départ de Cartographie de mémoire est une carte géographique de trois pieds par trois pieds, que l’artiste a choisi de perler afin de représenter les 1 400 000 acres réservés aux enfants métis au moment de l’entrée du Manitoba dans la Confédération canadienne.

« Chaque enfant dans la province qui était métis avait le droit d’avoir un morceau de terrain », explique-t-elle.

Mais la réalité fut tout autre. D’après elle, « 97 % des métis n’ont absolument rien reçu. »

Cette carte, suspendue sur une couverture de la Compagnie de la Baie d’Hudson, devient une métaphore du conflit entre mémoire et colonisation : « La couverture de la Baie d’Hudson, c’est vraiment un symbole colonial. Et la carte, elle, représente le côté métis de ma mémoire. »

En entrant dans la galerie, le visiteur foule un plancher orné de photographies d’archives et de cartes géographiques, sur lesquelles figurent des visages métis et des annotations manuscrites.

À travers ses installations, l’artiste souhaite que le visiteur se pose la question de savoir à qui appartenait cette terre du Manitoba.

À mesure que le projet se développait, Lilian Bonin s’est plongée dans les archives familiales et publiques, découvrant des documents liés à cette terre perdue.

Ce questionnement à propos du territoire prend racine dans son histoire familiale : son arrière-grand-mère avait reçu un « script », un certificat gouvernemental censé donner accès à une terre aux résidents métis du Manitoba.

Ces trouvailles ont nourri la seconde partie de l’exposition : de grandes photos-collages sur des peaux de bisons mêlant paysages actuels du terrain mentionné dans le script de son arrière-grand-mère, fragments d’archives et objets personnels, « pour que les personnes pensent encore un peu plus à où elles se situent dans l’espace », dit-elle.

« Parce que c’était la terre qui appartenait aux Métis. » Cette démarche s’inscrit dans une volonté plus large de redonner une voix aux communautés invisibilisées.

« Beaucoup de personnes n’ont aucune idée du rôle important joué par les Métis dans la création du Manitoba », regrette-t-elle.

Pour Lou-Anne Bourdeau, la directrice de la Maison des artistes visuels francophones (La Maison), « le travail de Lilian s’inscrit vraiment dans des enjeux qui sont très actuels encore aujourd’hui. Cela questionne sur comment l’identité métisse est vécue par les gens, comment est-ce que ça s’inscrit dans des histoires familiales, dans la grande Histoire aussi, dans l’histoire de la province du Manitoba. »

Une réconciliation

L’exposition devient aussi un lieu de guérison personnelle pour l’artiste. « J’ai toujours su que j’étais métisse », confie Lilian Bonin, « mais de mon temps, c’était la honte d’être métis, c’était la honte d’être francophone ».

Sur le plancher de la salle centrale, une installation réunit des peaux et une robe de bison, ou encore des os et crânes de castors. Ces matériaux utilisés par l’artiste participent à une réflexion sur la mémoire incarnée. « Pour moi, c’est comme des reliquaires, c’est quelque chose qui contient de la mémoire », explique-t-elle.

Cette œuvre, inspirée à l’occasion d’un séjour avec un groupe métis au Centre des arts visuels de Banff, rend hommage à la jeunesse métisse contemporaine. En effet, lors de ce voyage, Lilian Bonin découvre chez la jeune génération une fierté d’être métis qu’elle n’a pas connue.

« C’était très important pour moi de voir qu’ils étaient bien dans leur peau en tant que personnes métisses. »

Parfois recouverts de feuilles d’or et de perles reflétant la lumière, ils incarnent pour l’artiste « l’espoir que j’ai pour le futur ».

« Réfléchir à où l’on marche »

Au fil de la visite, l’exposition relie l’intime au collectif, les récits familiaux aux fractures de l’histoire manitobaine.

L’exposition invite les visiteurs à se souvenir et à s’interroger.

« Je veux que les gens réfléchissent à l’endroit où ils marchent, au terrain où ils habitent et à qui était là avant eux », dit Lilian Bonin.

Lou-Anne Bourdeau met également en lumière la portée universelle de l’exposition : « Lilian a utilisé l’histoire de sa famille comme point de départ pour certaines des œuvres, et je trouve que ça nous amène tous à réfléchir un peu à notre rapport à la culture, à la famille, à la transmission. C’est vraiment une exposition qui prend le sujet de la culture métisse, mais qu’on peut vraiment facilement se refléter, peu importe notre origine. »

Présentée à la Maison des artistes visuels francophones, l’exposition s’inscrit dans un lieu symbolique : Saint-Boniface, cœur historique de la communauté franco-manitobaine et berceau de Louis Riel.

Pour Lilian Bonin, cet ancrage géographique est essentiel : « Je voulais que ça soit à Saint-Boniface, parce que c’est là où ma famille était, et c’est aussi pas loin d’où repose Louis Riel. »