« C’était attendu, dit le microbiologiste Philippe Lagacé-Wiens en réponse à cette nouvelle. C’était évident qu’on n’avait plus le contrôle qu’il fallait. »
Selon les experts, de petites éclosions de rougeole n’ont pas été rares au fil des ans depuis que la maladie a été officiellement considérée comme éliminée au Canada en 1998.
Ces transmissions ont tendance à être de courte durée en raison d’un taux de vaccination élevé qui empêche la propagation généralisée du virus.
Cependant, après environ six à huit mois de transmission continue dans tout le pays, il est devenu clair aux yeux des experts que le statut d’élimination serait bientôt perdu.
« Le taux d’immunisation dans certaines régions du pays était insuffisant pour la protection complète de la communauté. C’était évident que ça prendrait plus que 12 mois à contrôler l’éclosion. »
Il ajoute que, bien que la situation se soit progressivement améliorée, il est probable que le pays ne retrouve pas son statut d’élimination avant au moins deux ou trois ans, puisqu’il faut une élimination complète de cas pendant 12 mois consécutifs.
Le nombre de cas de rougeole au Canada a lentement diminué depuis l’été, mais le docteur Lagacé-Wiens souligne que cela est normal pour un virus qui provoque une immunité aussi forte : plus le nombre de personnes non vaccinées infectées est élevé, plus l’immunisation collective est importante.
« La vraie différence, évidemment, c’est qu’un vaccin est entièrement sécuritaire comparé au virus lui-même, qui provoque des maladies très sérieuses, des pneumonies, des admissions à l’hôpital et dans certains cas, des séjours aux soins intensifs et même la mortalité. »
La non-vaccination reste un problème
Selon les chiffres de la province, 87,2 % des cas de rougeole au Manitoba concernaient des personnes qui n’avaient reçu aucune des deux doses du vaccin.
Tout au long de la pandémie et au cours des années qui ont suivi, le nombre de vaccinations contre la rougeole n’est pas revenu aux taux antérieurs.
Et bien que les taux de vaccination aient augmenté au cours de l’année dernière, Philippe Lagacé-Wiens affirme qu’il reste difficile d’atteindre les personnes réticentes à être immunisées en raison du sentiment anti-vax qui grimpe depuis la COVID.
« C’est assez facile de retrouver les gens qui ont manqué leurs immunisations, qu’on a perdus du système pendant la pandémie, dit-il.
« Mais on souffre quand même d’une certaine résistance aux immunisations et c’est ce groupe là où c’est difficile parce que ça prend beaucoup d’efforts, d’éducation, de discussions avec des parents, des adultes qui ne sont pas immunisés. »
Pour cette raison, il est possible que le nombre de cas recommence à augmenter, contredisant ainsi la tendance actuelle à la baisse.
Plusieurs communautés n’ont encore enregistré aucun cas d’infection, mais leur faible taux de vaccination les rend vulnérables à une éventuelle épidémie.
C’est la raison pour laquelle le Canada a connu plusieurs épidémies de rougeole plus graves toutes les quelques années.
Par exemple, en 2011, le Canada avait enregistré 752 cas, une épidémie qui s’était pratiquement résorbée l’année suivante.
« Le virus infecte 95 % des gens, ce qui cause une immunité très élevée dans la communauté par l’infection. Et puis là, ça disparaît pour plusieurs années jusqu’à ce qu’il y ait un nouveau groupe d’individus, les enfants, qui y sont encore susceptibles. »
Une perte « embarrassante » pour le Canada
Selon Philippe Lagacé-Wiens, la perte du statut d’élimination vise principalement à inciter un pays à l’action à travers des pressions diplomatiques.
La perte de ce statut est considérée comme un « embarras national » sur la scène internationale, surtout pour un pays avec un système de santé universel avancé et un programme de vaccination gratuit.
« Non seulement on a perdu le statut, mais on a aussi fait perdre le statut des Amériques en entier, qui était la première région du monde à déclarer que la rougeole était éliminée, précise le docteur, bien qu’il est prévu que les États-Unis perdront eux aussi leur statut bientôt. Sur le plan politique, cela signifie que d’autres pays pourraient exiger que leurs voyageurs soient vaccinés contre la rougeole avant de se rendre au Canada, ce qui pourrait avoir des répercussions sur l’industrie du tourisme. Mais la pression internationale aura probablement peu d’effet. Les soins de santé sont une responsabilité provinciale, ce qui signifie que chacune d’entre elles aura sa propre façon de gérer les épidémies et les programmes de vaccination.
« Le fédéral peut faire des déclarations, offrir un certain soutien financier pour la santé publique. Mais on voit plutôt des coupes au niveau fédéral que des financements en santé publique. Je crains que ce sera difficile d’avoir une approche unie. »
Au Manitoba, le gouvernement a redoublé d’efforts pour encourager la vaccination et retracer les personnes infectées.
Mais le docteur Lagacé-Wiens estime qu’il serait possible d’en faire davantage en matière d’accessibilité.
Cela impliquerait garantir la distribution des vaccins dans toutes les pharmacies et cliniques, et d’inciter les personnes qui n’ont reçu qu’une seule dose à se faire vacciner complètement.
« La grande majorité des gens qui croient qu’ils sont immunisés complètement ne le sont pas, souligne-t-il. Avoir un moyen simple d’accéder à son dossier vaccinal complet, comme cela a été le cas pendant la pandémie, pourrait aider les gens à vérifier leurs propres informations médicales et permettre aux institutions de santé publique d’envoyer à chacun des rappels de vaccination. »




