Par Maria Fernanda Arentsen.

Ma vie avec un frère exceptionnel : J’ai la chance d’avoir un frère exceptionnel, Pablo, qui a une trisomie 21. Notre quotidien est chargé d’une exceptionnalité qui m’invite à voir le monde autrement. C’est ce que je souhaite partager.

Nous venons d’une famille catholique argentine.

Dans l’hémisphère sud, Noël se célèbre en plein été. Il arrive en même temps que la fin de l’année scolaire et le début des grandes vacances. Toutes les familles se réunissent la nuit du 24 décembre dans une atmosphère de célébration intense.

Quand nous étions petits, on allait à la messe de minuit puis on rentrait pour un festin. Après minuit, nous pouvions enfin ouvrir nos cadeaux, les yeux brillants de joie.

Mais pour les enfants, il y a une autre fête, qui faisait battre nos cœurs avec force, c’était l’aube du 6 janvier. C’est à ce moment-là que nous recevions les cadeaux des Rois Mages, comme l’Enfant Jésus a reçu l’encens, la myrrhe et l’or.

Si l’on avait été gentils pendant l’année, on écrivait une lettre aux Rois Mages. La veille au soir, le 5 janvier, on mettait nos souliers à la fenêtre ou à la porte de nos chambres.

Et quelque part dans la maison, on déposait de l’eau et de l’herbe pour les chameaux qui auraient besoin de se ressourcer.

Le 5, c’était impossible de s’endormir tant l’excitation était grande. Et le 6 au matin, on se réveillait à l’aube pour découvrir nos merveilleux cadeaux. Ma mère décorait toujours un bel arbre de Noël avec des lumières colorées et des guirlandes.

Et la belle crèche avec ses anges, ses bergers, ses animaux, Joseph, Marie et Jésus, était installée dans la cheminée!! Depuis notre plus tendre enfance, cette tradition a été cultivée avec amour dans notre famille. Pablo l’a gardée vivante dans son cœur, peut-être plus que nous tous. Puis nous avons émigré au Canada. Et là, tout a changé pour Pablo.

Au Manitoba, le 6 janvier, il fait beaucoup trop froid pour mettre ses souliers dehors. Et puis, ici, la tradition des Rois Mages n’existe pas vraiment. Alors Pablo, dans son cœur immense, a trouvé sa propre solution. Il a fusionné les deux fêtes. Il célèbre Noël et les Rois Mages en même temps, réunissant dans un seul moment magique les deux traditions qu’il chérit. Et c’est ainsi que, depuis son arrivée au Canada, il met ses souliers sous l’arbre de Noël, à l’intérieur de la maison, bien au chaud.

Maintenant que mes filles sont devenues de jeunes adultes, nous passons Noël chez elles, à Montréal. Pour Pablo, ces retrouvailles ont pris une dimension encore plus spéciale. C’est un voyage vers un espace précieux où il est entouré d’amour, où résonne le rire de ses nièces, où la joie d’être ensemble remplit chaque pièce. Il attend la veille de Noël avec une impatience qui déborde.

Maria avec ses filles et son frère Pablo.
Maria avec ses filles et son frère Pablo. (photo : gracieuseté)

Mais Pablo s’exprime par gestes et il ne peut pas vraiment compter les jours. Alors, lorsqu’on lui explique que Noël, c’est dans trois jours, dans quatre jours, il nous écoute, mais le temps reste pour lui un concept abstrait. Il ne prend donc aucun risque. Chaque soir, sans faute, il met ses souliers à côté de l’arbre de Noël. Chaque soir, il espère. Chaque soir, il fait acte de foi. C’est son dialogue silencieux avec la magie de Noël, avec les Rois Mages qui viendront peut-être cette nuit-là.

Les décorations de Noël sont pour lui une partie essentielle de la fête, presque aussi importante que les cadeaux eux-mêmes.

Il exige des lumières partout, dans chaque coin. Avec les lumières modernes qu’on contrôle à distance, il a appris à manipuler tous les contrôles avec une habileté surprenante. Il adore les faire clignoter, changer de couleur. Mais le soir, quand vient l’heure de se coucher et qu’on doit éteindre toutes ces lumières, il est visiblement frustré, même s’il tombe de sommeil.

Son corps dit fatigue, mais son cœur dit encore fête. Il exprime alors son impatience en pointant les cadeaux sous l’arbre avec persistance, nous demandant par ses gestes répétés : mais quand est-ce qu’on va enfin ouvrir les cadeaux?

L’an dernier à Montréal, ma fille avait acheté un grand père Noël gonflable et l’avait installé sur le balcon.

Pablo était absolument ravi. Plusieurs fois par jour, il dirigeait ses yeux vers le balcon pour vérifier que le gros père Noël était toujours là, avec son énorme sac de cadeaux.

Un soir, j’ai vu que le père Noël était complètement dégonflé. Quand ma fille est rentrée du travail, je lui ai dit à la blague, sans réfléchir : « Ton père Noël est mort. »

Tout de suite, je l’entends s’exclamer avec urgence en me signalant Pablo : « MAMAN!! Qu’est-ce que tu as fait? ».

Je tourne mes yeux vers mon frère et je vois ses yeux à lui, grand ouvert, plein de larmes qui commencent à couler. J’ai compris instantanément. Pablo comprend tout littéralement. J’ai eu tellement de peine! Je ne savais pas comment réparer ce que j’avais dit.

On s’est précipitées pour aller regonfler le père Noël, et peu à peu, en le voyant reprendre forme, Pablo s’est calmé. Cette expérience m’a rappelé qu’avec Pablo, il ne faut jamais faire de blagues au sujet de Noël. Chaque Noël est magique pour nous, pas seulement à cause de Noël, avec ses traditions, mais aussi à cause de l’émerveillement que Pablo apporte à notre famille. Il nous offre son regard frais et pur sur ce qu’est la vraie joie. La joie des retrouvailles, après des mois de séparation. La joie de rire ensemble, de partager nos histoires.

La joie de perpétuer nos traditions, ces fils invisibles qui nous relient à notre enfance, à l’Argentine, à nos parents. La joie d’avoir cet immense bonheur d’être ensemble et de voir Pablo heureux parmi nous. Pour les chrétiens, Noël célèbre la naissance de Jésus, l’espoir qui renaît, la promesse du retour de la lumière, l’arrivée de celui qui donne un sens à la vie par l’amour. Je ne sais pas si Pablo est capable de comprendre la dimension spirituelle de Noël dans ces termes. Mais ce que je sais, c’est qu’il la vit d’une manière profondément humaine et authentique.

Chaque soir, quand il dépose avec soin ses souliers sous l’arbre, Pablo nous enseigne quelque chose de précieux.

Il nous montre que la foi n’a pas besoin de calendrier, que l’espérance ne se mesure pas en jours comptés, et que la magie existe vraiment quand on y croit de tout son cœur, sans réserve, sans cynisme, avec pureté et confiance.