À l’automne dernier, l’Union nationale métisse Saint-joseph du Manitoba (UNMSJM) offrait ses premiers cours de mitchif-français à la Société historique de Saint-Boniface. Une tentative qui avait pour intention de protéger cette langue en voie de disparaître.

Par Ophélie DOIREAU

article en rappel dans l’édition du 27 octobre au 2 novembre 2021.

Statistique Canada dénombrait qu’en 2016, au Manitoba, seulement 80 personnes avaient le mitchif-français comme langue maternelle.

Le mitchif-français est l’un des trois dialectes mitchif qui existent. Les deux autres étant le Northern Michif, dialecte principalement cri et le Heritage Michif.

Le mitchif-français, comme les autres langues, est en déclin parce que pendant longtemps il a été considéré comme une façon très pauvre de parler le français. On enseignait aux enfants métis dans les écoles françaises à parler un meilleur français. La langue a longtemps été stigmatisée.

Dictionnaire de mitchif-français. (photo : Gracieuseté Paulette Duguay)

Cette insécurité linguistique a mené plusieurs adultes à perdre leur langue. La plus grande population parlant le mitchif-français se trouve à Saint-Laurent.

Avec ce constat bien en tête, l’UNMSJM avait décidé d’offrir des cours de mitchif-français. Une initiative bien accueillie pour la docteure en psychologie, Nathalie Freynet.

« La capacité langagière va permettre de faciliter les rassemblements entre individus autour d’un point commun : la langue.

« Cette langue commune va renforcer le sentiment d’appartenance à un groupe et plus largement l’identité langagière rentre dans un ensemble plus général qui est l’identité d’un groupe.

« Il faut savoir que ce qui est fascinant avec l’apprentissage d’une langue, c’est qu’il participe au bien-être des personnes. Avoir un sentiment d’appartenance à un groupe est extrêmement bénéfique pour une personne. L’isolement est rompu et des liens peuvent se former. »

Paulette Duguay, présidente de l’UNMSJM, soulignait le développement du sentiment de fierté. « Les enseignants sont rares. Cinq femmes nous donnent ces cours et trois d’entre elles ont publié un dictionnaire de mitchif-français : Michif French as spoken by most Michif people of St. Laurent, publié en 2016 par la librairie Mcnally Robinson. (1) Ce livre comprend des recettes, des prières, une organisation alphabétique et thématique des mots. »

Nathalie Freynet pointe l’importance des initiatives de ce genre. « L’éducation de cette langue peut aussi permettre la revitalisation d’une langue qui aurait tendance à disparaître.

Nathalie Freynet, docteure en psychologie. (photo : Archives La Liberté)

« De plus, on le sait, la langue est un moyen de réaffirmer la position culturelle d’un groupe qui a pu connaître dans le passé des discriminations reliées à sa langue. C’est donc d’autant plus important d’offrir des cours de cette langue et participer à un effort de réaffirmation qui s’inscrit dans une fierté identitaire.

« Pour ne pas disparaître, une langue doit être transmise, à l’oral comme à l’écrit. »

C’était d’ailleurs tout l’objectif de ces cinq femmes qui ont décidé de prendre en main la revitalisation de leur langue, comme le souligne Paulette Duguay. « Ces femmes voulaient transmettre la langue à leurs petits-enfants. Au départ, ce dictionnaire n’avait pas pour but d’être publié.

« Puis au fur et à mesure, il y a eu de plus en plus d’intérêt pour cette langue. Il faut dire que les cours et les outils comme ce dictionnaire permettent de préserver la culture. C’est plus que jamais un enjeu.

« Je suis très fière que l’union puisse offrir ces cours, et surtout très reconnaissante aux personnes de nous consacrer du temps pour enseigner cette langue si riche. »

Paulette Duguay donne d’ailleurs quelques exemples marquants durant ces cours. « Le mitchif-français est une langue très phonétique. Par exemple, pour dire ma mère va faire cuire la galette on écrit : ma mayr i fayr kwir la galet.

« C’est un vrai atout de connaître un peu le français puisque les sons peuvent se ressembler. Finalement, on écrit comme on entend. Exemple : pour le son [k] on écrira un k et pas un c. C’est vraiment fascinant.

« Apprendre à écrire, c’est bien, mais évidemment pour faire vivre une langue, il faut la pratiquer au travers de conversation. Quand je relis mes devoirs et mes notes, je vois le besoin de travailler l’oral aussi. »

(1) Ce livre a été écrit par June Bruce, Agathe Chartrand, Lorraine Coutu Lavallée, Doris Mikolayenko Leclerc et Patricia Millar Chartrand. Doris Mikolayenko Leclerc et Patricia Millar Chartrand sont décédées.