Par Michel LAGACÉ.

Mais voilà que l’humeur nationale a été transformée quand Justin Trudeau a annoncé sa démission, Donald Trump est devenu Président des États-Unis, et l’agression commerciale américaine et la possibilité d’annexion au voisin du sud ont fait les manchettes.

Les Canadiens ont alors décidé de se tourner vers les libéraux et leur nouveau chef Mark Carney parce qu’il offrait quelque chose que Pierre Poilievre (comme d’ailleurs, Justin Trudeau) ne pouvait pas apporter : un sentiment de stabilité lorsque les choses ont soudainement semblé instables. Tout est cassé, répétait constamment Pierre Poilievre. Devant la menace américaine, la question n’était plus de savoir comment réparer les institutions canadiennes, mais plutôt comment les défendre.

C’est dans ce contexte inédit que Mark Carney a présenté son conseil des ministres la semaine dernière. Il devait trouver le juste milieu entre assurer la continuité et se démarquer du gouvernement de Justin Trudeau. Ainsi, 14 des 28 ministres qu’il a nommés faisaient partie du conseil des ministres avant l’élection du 28 avril, dont Dominic LeBlanc, Anita Anand, Mélanie Joly, Chrystia Freeland et François-Philippe Champagne. Les quatorze autres devenaient ministres pour la première fois.

Mark Carney a aussi nommé dix secrétaires parlementaires pour appuyer les 28 ministres. Ces secrétaires ne gèrent aucun ministère et servent surtout à répondre au désir de groupes de pression qui veulent être reconnus par le gouvernement. Mais nommer des secrétaires d’État pour les sports, la nature, les aînés, ou encore l’enfance et la jeunesse, par exemple, n’ajoute aucun programme ni aucun financement dans ces domaines. Si Mark Carney voulait créer un conseil plus ciblé et plus axé sur les priorités du gouvernement, il aurait pu s’abstenir de créer ces dix postes.

Le dossier des langues officielles est l’exemple parfait de cette pratique de nommer des ministres pour répondre à des groupes qui veulent être reconnus par le gouvernement. Lorsqu’il a nommé son premier conseil des ministres en mars, Mark Carney a changé le nom du ministère du Patrimoine canadien pour en faire le ministère de la Culture et de l’Identité canadiennes. Immédiatement, des porte-paroles d’organismes francophones se sont inquiétés du fait que les langues officielles n’avaient plus de ministère. Or le ministre, les programmes et les budgets qui appuient les langues officielles étaient toujours là.

Il convient de rappeler que, quand le ministère du Patrimoine canadien a été créé en 1993, il devait regrouper les programmes qui touchaient l’identité même du pays, dont les langues officielles, les arts et la culture, la radiodiffusion, les parcs et sites historiques, le multiculturalisme, le sport, etc. À l’époque, il n’était cependant pas question de lui donner le titre de culture, de peur d’offusquer les provinces qui réclamaient ce domaine comme relevant de leur compétence.

Mark Carney a osé donner à ce ministère le nom qui répond aux préoccupations centrales du Canada. Il faudrait comprendre que les langues officielles sont au centre de l’identité canadienne et qu’il est tout à fait redondant d’ajouter « langues officielles » au nom du ministère. Malheureusement, parce qu’il a cédé aux pressions, Steven Guilbeault est devenu « le ministre de l’Identité et de la Culture canadiennes et ministre responsable des Langues officielles ».

Si le Premier ministre veut réellement incarner le changement dont il parle, il devra dépasser la petite politique pour prioriser les objectifs clés de son gouvernement et définir comment il compte atteindre ses objectifs.

Deux grandes priorités sont ressorties de la campagne électorale : faire face résolument à l’agression commerciale américaine et construire une économie canadienne plus dynamique et résiliente. Et si Mark Carney veut réellement agir avec « urgence et détermination », comme il l’a dit et répété, tous les efforts de son gouvernement devront se concentrer sur ces priorités.