Par Marie WIELGOCKI – collaboration spéciale.

Au Manitoba, la pénurie d’enseignants est en partie comblée par des immigrants qualifiés.

Toutefois, ces derniers font souvent face à des obstacles administratifs et professionnels importants, freinant leur pleine intégration.

Malgré des démarches longues, coûteuses et parfois décourageantes, leur expertise et leur détermination enrichissent le secteur éducatif manitobain.

Leur parcours, difficile mais résilient, met en lumière l’importante contribution des nouveaux arrivants à la société canadienne, malgré les embûches qu’ils rencontrent.

« Ça fait trois ans que j’ai commencé à compléter toutes les démarches », racontait Evelin Segura à La Liberté au printemps, une enseignante péruvienne arrivée au Manitoba, au départ en tant qu’étudiante internationale.

En arrivant au Canada, le bureau délivrant les accréditations d’enseignements a demandé à Evelin Segura de repasser des certifications, notamment en éducation et en langue anglaise.

« Ça a été très compliqué de trouver une université au Manitoba qui m’acceptait en tant qu’étudiante, car la majorité n’acceptait que les personnes ayant une résidence permanente, ce que je n’avais pas encore », se souvient-elle. Pourtant, l’enseignante était loin d’être novice en matière d’éducation.

« J’ai obtenu un baccalauréat en petite enfance avec une spécialisation en anglais, puis une maîtrise, avant de travailler 17 ans en tant qu’enseignante », raconte-t-elle.

Evelin Segura a aussi eu des expériences hors de la salle de classe. « J’ai travaillé pour la direction régionale de Lima en tant que consultante éducative pour plusieurs écoles, j’ai donné des formations à des enseignants et j’écris des livres. »

En mars dernier, elle n’était pas encore sortie du processus de certification et continuait de compléter les crédits restants demandés par le bureau d’accréditation.

Lenteur administrative et manque de communication

À l’image du parcours de l’enseignante, les personnes nouvellement arrivées au Manitoba et qui souhaitent continuer de pratiquer leur métier d’enseignant passent en effet « par un long processus qui peut prendre des années », confirme Desirée Pappel, présidente de l’Association des éducatrices et des éducateurs franco-manitobains (AÉFM), organisme chapeauté par la Manitoba Teachers’ Society (MTS).

Quand ces personnes arrivent sur le territoire, ils se retrouvent souvent confrontés à « une lenteur administrative et un manque de communication de la part du bureau des brevets, lié notamment à une pénurie de personnel », précise-t-elle.

Pour Evelin Segura, le plus dur a, en effet, été de parvenir à trouver les bonnes informations.

« J’ai dépensé beaucoup d’énergie et de temps à savoir où est-ce que je pouvais prendre ces cours et récupérer les fameux crédits, l’information n’était pas très accessible », se souvient-elle.

Pour parvenir à enseigner, le processus est en effet laborieux. Il y a plusieurs exigences.

Présentement, pour obtenir un brevet, la personne doit, soit être citoyenne, soit résidente permanente ou posséder un permis de travail.

En fonction de leur langue et de leur diplôme, il est possible qu’ils soient soumis à une évaluation des compétences linguistiques, comme pour Evelin Segura.

« Cette évaluation n’est pas effectuée par la Province mais par un groupe externe privé qui s’appelle Pathways », explique la présidente de l’AÉFM avant de préciser que les coûts associés à cette évaluation sont à la charge de l’enseignant lui-même.

Les enseignants soumettent un dossier auprès de Pathways qui peut être composé de deux éléments : une évaluation des qualifications pédagogiques du candidat, qui coûte 450 $, et une autre évaluation des capacités linguistiques, qui coûte 400 $.

« Il y a plus de défis au Manitoba que dans les autres Provinces »

Processus laborieux

Alors que ce sont les gouvernements provinciaux qui ont la responsabilité pour tous les niveaux d’enseignement, chaque province à ses exigences pour délivrer les brevets. Mais il semble que la province du Manitoba soit particulièrement difficile en termes de conditions à remplir pour exercer.

« Ça arrive souvent que des enseignants nouvellement arrivés au Canada aient réussi à travailler dans d’autres provinces, et lorsqu’ils arrivent au Manitoba on leur dit que ce n’est pas possible d’exercer », souligne Desirée Pappel.

Pour la présidente de l’AÉFM, le constat est clair, « il y a plus de défis au Manitoba que dans les autres provinces » pour les enseignants immigrés. Si un enseignant a un brevet provisoire et demande un brevet permanent, il doit satisfaire à de nombreuses exigences.

Il doit venir d’un programme de formation d’enseignant approuvé, satisfaire un nombre d’heures de stage pratique, ou encore soumettre de nombreux documents administratifs au bureau des brevets.

Mais de nombreux enseignants sont confrontés à des difficultés lorsqu’il s’agit de documentations administratives.

Par exemple, « ils doivent s’assurer de la traduction des documents en français ou en anglais et ce n’est pas toujours possible, notamment pour les personnes venant de pays en guerre qui ne peuvent plus délivrer ces documents ou encore de pays qui refusent de les fournir pour retenir les enseignants ».

Ainsi, « il y a des aspects à améliorer, comme le temps d’attente et les multiples processus pour valider le certificat d’étude », souligne Evelin Segura.

Pour l’enseignante, il serait « important d’ouvrir des canaux de communication afin de réduire l’anxiété des candidats dans ce long processus ».

Des changements nécessaires

Mais au fil des années, de nombreux changements ont été effectués pour améliorer et faciliter l’accès des enseignants nouvellement arrivés au Manitoba.

Avant, il fallait nécessairement obtenir un diplôme universitaire en éducation pour enseigner au Manitoba, pourtant « tous les pays ne délivrent pas cet intitulé de diplôme », souligne Desirée Pappel.

Elle explique que ce prérequis va être modifié d’ici deux ans. Par ailleurs, il y a quelques années, même si un enseignant venant de l’étranger avait déjà exercé dans son pays d’origine, il devait faire des stages de pratique en arrivant au Manitoba.

Récemment, « il y a, par exemple, eu des changements au niveau de la filière Éducation à l’Université Saint-Boniface pour les étudiants étrangers », souligne la présidente de l’AÉFM.

« Les changements étaient notamment ciblés sur les majeurs et les mineurs des filières d’enseignement » afin de pouvoir « s’aligner davantage avec les autres provinces », précise-t-elle.

Bien que la Division scolaire franco-manitobaine (DSFM) et la MTS travaillent ensemble pour accompagner au mieux ces enseignants nouvellement arrivés, Desirée Pappel pointe malgré tout des obstacles.

« Lorsque ces personnes ne sont pas encore des membres de nos organisations, ils n’ont pas facilement accès à nos services d’accompagnement », souligne-t-elle.

« On a donc commencé à créer des comités pour mieux identifier les défis auxquels font face ces nouveaux arrivants », et « nous continuons de collaborer avec la DSFM », affirme-t-elle.

Evelin Segura se dit très reconnaissante de l’aide apportée par les deux organisations.

« Grâce aux équipes de l’AÉFM et de la MTS, j’ai été accompagnée et ça a grandement réduit mon anxiété pendant ces longs moments d’attente », conclut l’enseignante.

Initiative de journalisme local – Réseau.Presse – La Liberté