La Société de la francophonie manitobaine a déposé un mémoire auprès du gouvernement provincial. Ce dernier, que Jean-Michel Beaudry, directeur général de la SFM, qualifie de « document de réflexion », a pour objectif d’ouvrir la discussion sur une éventuelle refonte de la Loi sur l’appui à l’épanouissement de la francophonie manitobaine, ou au moins la mise en place d’un règlement encadrant l’application de cette dernière.

Ce mémoire est le fruit du travail survenu lors de l’initiative Équipe francophonie 2025 débutée en mars 2025. Il s’agissait d’une journée d’échanges et de sensibilisation qui s’est tenue au Palais législatif du Manitoba à l’occasion de la Journée internationale de la francophonie. L’idée était de rassembler autour de la table des membres élus de l’Assemblée législative du Manitoba ainsi que des représentants des secteurs communautaires économiques et institutionnels afin de renforcer la place de la francophonie dans le développement de la Province.   

« Le document met en lumière que la Loi, comme elle existe aujourd’hui, a beaucoup de potentiel », explique Jean-Michel Beaudry. Mais il met aussi en lumière la nécessité de la renforcer. C’est avec le soutien de Me Guy Jourdain et de Me Rénald Rémillard que ce document a pu voir le jour. Ce document sera à l’ordre du jour d’une prochaine rencontre du Comité consultatif des affaires francophone.

Maître Guy Jourdain, ancien directeur de l’Association des juristes d’expression française du Manitoba, ancien directeur du Secrétariat aux affaires francophones  et spécialiste en droits linguistiques, rappelle que la Loi sur l’appui à l’épanouissement de la francophonie manitobaine adopté en 2016 représentait un grand progrès à l’époque. Mais il note tout de même qu’« au fil des années, il y a eu des accidents de parcours ».

Il fait référence notamment à l’abolition du poste de sous-ministre adjoint responsable du Bureau de l’éducation française.

Le constat est donc le suivant : « On s’est rendu compte qu’il y avait un besoin de mettre à jour la loi, de la renforcer. »

Et ce, pour plusieurs raisons, qu’énumère Jean-Michel Beaudry.

Ce dernier fait mention du fait que l’application de cette loi n’est que du ressort du ministre responsable des Affaires francophones et du Secrétariat aux affaires francophones et non pas d’un ministère à part entière ou d’une agence centrale comme le Conseil du trésor. « Ça signifie que l’application de cette loi est encore trop inégale. »

« Ce qui est problématique, c’est que s’il y a une volonté politique de mettre en œuvre cette loi, ça peut se faire facilement. Mais s’il y a un manque d’intérêt politique, elle peut facilement être contournée. »

Pour résumer, faire passer cette loi sous l’égide d’une agence centrale, permettrait entre autres de la faire appliquer même en cas de désintérêt politique.

Le directeur de la SFM souligne également un manque gênant de règlement. Pour l’illustrer, il fait la comparaison avec la Loi sur l’accessibilité pour les Manitobains, qui établit un cadre pour éliminer et prévenir les obstacles à l’accessibilité dans divers domaines (emploi, information et communication, services à la clientèle, environnement bâti, transport)

« Pour la Loi sur l’accessibilité, il y a des règlements et des directives très claires qui font en sorte que dans la prise de décision, toutes les agences et les ministères prennent en compte certains éléments de la Loi et en font rapport. On peut davantage mesurer le progrès et le succès de la mise en place de cette loi. »

Des pistes de réflexion

Les conversations lors de l’élaboration du mémoire ont également mené vers des réflexions sur l’un des aspects de la Loi qui commande aux ministères et agences d’adopter un plan pour les services en français. Le mémoire tente, à ce propos, d’adresser deux choses.

« Ces plans doivent être validés par le ministre, mais il n’y a pas vraiment de suivi. L’on vise à implémenter une dimension de redevabilité pour que les ministères et agences aient besoin de respecter le plan mis en place. »

L’autre aspect consiste à renforcer les « mesures positives ».

« Il s’agit d’aller au-delà du minimum requis par la Loi. Dans l’étape de planification, ça leur demande aussi de mettre en place des dispositifs pour que la francophonie manitobaine ait tout ce dont elle a besoin pour s’épanouir. »

En somme, le mémoire prône la mise en place d’une lentille francophone dans l’élaboration de plans stratégiques.

Ce qu’il manque au Manitoba

Me Guy Jourdain explique la situation clairement. Il rappelle d’abord qu’il existe trois branches au sein du gouvernement. La branche législative, qui concerne l’élaboration des lois. La branche exécutive, la mise en application des lois et enfin la branche judiciaire, qui concerne les tribunaux.

« Si je prends le cas du Manitoba, lorsque la province a été créée en 1870, on a assuré le bilinguisme des branches législative et judiciaire. Mais il n’y avait pas de garanties étanches pour la branche exécutive, qui relève des services gouvernementaux. »

Il faut comprendre qu’à l’époque, les services étaient quasiment inexistants.

« Il y avait des écoles, des orphelinats, des hôpitaux, mais ils étaient administrés par des congrégations religieuses. »

On pense notamment aux Sœurs Grises, francophones. « La question de la langue ne se posait pas à ce moment-là. »

À l’inverse, au Nouveau-Brunswick, les trois branches du gouvernement sont touchées par la Loi sur les langues officielles adoptée par la Province en 1969.

Cependant, lors de la création du Manitoba, la Couronne avait accordé des garanties linguistiques. L’on pourrait alors, à raison sûrement, se demander pourquoi, en 2025, l’on se bat encore pour faire du Manitoba une province véritablement bilingue. Pour le comprendre, il faut revenir un peu dans le temps, au moment de l’entrée du Manitoba dans la confédération canadienne.

Un voyage dans le temps

« L’entente qui est intervenue entre le gouvernement provisoire de Louis Riel et le gouvernement fédéral visait à assurer que les Métis (qui représentaient 85 % de la population) francophones et anglophones puissent continuer de s’épanouir et conserver leurs traditions. Les Métis étaient présents dans toutes les couches de la société. Dans le cadre de la Loi de 1870 sur le Manitoba, on a accordé des garanties linguistiques pour le législatif et le judiciaire. On donnait aussi des terres aux Métis pour favoriser leur prospérité économique. »

Toutefois au fil des années, et des gouvernements, la vision de Louis Riel a doucement été écartée après l’entrée de la province dans la confédération.

Les forces militaires envoyées dans l’Ouest par John A. Macdonald en août 1870, qui avait sur papier pour mission d’assurer la paix et l’ordre, soumettront le peuple métis au règne de la terreur. Les hommes sont assassinés, les femmes violées et, avec la peur au ventre, beaucoup de Métis décident de quitter la province vers l’Ouest.

Cet exode a fait baisser leur poids démographique, explique Guy Jourdain. En parallèle, il y a eu un afflux d’immigrants de l’Europe de l’Est et de l’Ontario. »

Venus d’Ontario, une majorité d’anglophones protestants. Nous sommes à l’époque de la Reine Victoria.

« Ces gens étaient souvent orangistes, anti-francophones et anti-catholiques.

« Sur une période de 20 ans, on est passé d’une société où les Métis représentaient l’immense majorité de la population à une société en 1890, qui était diversifiée, mais principalement anglophone. »

En 1890 d’ailleurs arrivera The Official Language Act, qui abolira le statut officiel du français au sein de l’Assemblée législative et des tribunaux, puis une loi qui abolira le financement public pour les écoles confessionnelles.

À partir de 1916, les écoles bilingues sont abolies et l’enseignement du français interdit.

« Une période de grande noirceur pour les francophones. C’est seulement à partir des années 1960-1970 que certains droits sont revenus. »

Alors c’est certain, lorsque l’on regarde derrière, on se dit que l’on est bien mieux aujourd’hui, mais il reste tout de même du chemin à parcourir pour que la vision de Louis Riel devienne réalité. Et cela pourrait bien probablement passer par le renforcement de la Loi sur l’appui à l’épanouissement de la francophonie manitobaine.