Retour sur un combat que le député manitobain et cri avait à cœur de mener à terme, de même que celui de la reconnaissance des langues autochtones au sein de la Chambre des communes.
« Pour faire adopter la Loi sur les langues autochtones, ça a été un processus de trois ans de négociations avec l’Assemblée des Premières Nations (APN) puis le gouvernement fédéral », se souvient l’ancien député fédéral aujourd’hui professeur agrégé de la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa.
Une démarche qu’il a entreprise sous l’impulsion de la ministre de Patrimoine Canada d’alors, Mélanie Joly.
À l’époque, en 2016, face au manque de moyens financiers attribués aux langues et aux cultures autochtones – quelque 5 millions $ par année seulement -, l’APN restait sceptique face aux déclarations du gouvernement.
« Les chefs ne voulaient pas juste quelque chose de symbolique, explique Robert-Falcon Ouellette. Ils voulaient s’assurer que ce soit une véritable priorité avec de vrais moyens, bien encadrés par une loi, qui feraient vraiment une différence.
« En 2016, comme Mélanie Joly cherchait à faire quelque chose pour les Autochtones, j’ai suggéré quelque chose pour les langues. Elle était d’accord, puis le Premier ministre Justin Trudeau a annoncé un projet de loi pour les langues autochtones. J’étais heureux! La Loi sur les langues autochtones a été promulguée en 2019. »
Pour comparer, le Budget de 2016 du gouvernement fédéral avait alloué 15 millions $ sur deux ans à la Stratégie de formation pour les compétences et l’emploi destinés aux Autochtones, incluant des programmes pour soutenir la préservation des langues autochtones.
En 2024-2025, Patrimoine Canada a alloué 225 millions $ au soutien de la Loi sur les langues autochtones.
Un Bureau pour promouvoir les langues
La Loi sur les langues autochtones a entre autres eu pour effet la création en 2021 du tout premier Bureau du commissaire aux langues autochtones (le Bureau).
Il est aujourd’hui composé du commissaire, Ronald E. Ignace, et de trois directeur. trices : Georgina Liberty qui représente les langues de la Nation métisse, Joan Greyeyes pour les langues des Premières Nations, et Robert Watt, qui représente les langues inuites.

« C’était la première fois au Canada qu’une commission indépendante était mise sur pied pour défendre spécifiquement les langues autochtones, précise Georgina Liberty. Les consultations menées à travers le pays en préparation de la Loi avaient en effet mis en évidence le besoin de créer une entité qui pourrait travailler sur la promotion, la compréhension et la sensibilisation à la question des langues autochtones.
« Aujourd’hui, le Bureau est là pour tenir ce mandat, soutenir les initiatives en faveur des langues autochtones, traiter des plaintes qui y sont liées, ainsi que faciliter la résolution de disputes linguistiques. »
Le travail du Bureau est d’autant plus important que « selon l’Unesco, aucune langue autochtone au Canada n’est aujourd’hui à l’abri de disparaître, ajoute-t-elle. Il y a un besoin urgent de se réapproprier, revitaliser, préserver et renforcer nos langues autochtones avant que les quelques personnes qui les maîtrisent, souvent des Aîné.e.s, nous quittent. La transmission des langues est cruciale aujourd’hui. Nous travaillons de près avec les communautés pour cela ».
Le Bureau s’assure également de sensibiliser le monde à la situation des langues autochtones au Canada, à travers notamment un documentaire, Our Languages, Our Voices, et un rapport statistique et analytique présentés en 2024 aux Nations unies.
Par ailleurs, le Bureau a aussi organisé, du 11 au 14 août dernier à Ottawa, le premier Sommet mondial des langues autochtones, ONDES 2025. L’objectif était de célébrer, promouvoir et protéger les langues autochtones, ainsi que soutenir les peuples du monde entier dans leurs efforts de réappropriation, revitalisation, préservation et renforcement de leurs langues.
« Au moins 400 jeunes étaient là, c’est une bonne nouvelle pour l’avenir des langues autochtones, se réjouit Georgina Liberty. Nous espérons que tous nos efforts au Bureau pour mettre en avant la beauté et la richesse des langues autochtones inspireront les nouvelles générations à les réapprendre, et ainsi assurer leur survie. »
Reconnaissance au Parlement
En parallèle de son combat pour faire adopter la Loi sur les langues autochtones, Robert-Falcon Ouellette a aussi travaillé à faire reconnaître l’importance des langues autochtones au sein même de la Chambre des communes.
« En 2018, j’avais l’opportunité de faire un petit discours avant la période de questions, et je voulais parler de la violence envers les femmes autochtones et dans les communautés autochtones. J’ai décidé de changer les habitudes et faire mon discours dans ma langue, le cri.
« Mais comme ce n’était pas une langue officielle reconnue au Parlement, on ne pouvait pas me traduire. Mon discours ne serait donc pas compris de tous. Même si je pouvais fournir une traduction en français et en anglais, ça ne comptait pas : il fallait que ça vienne d’un traducteur ou d’une traductrice officielle.
« Le whip du gouvernement m’a conseillé de ne pas faire mon discours en cri, mais c’était trop important pour moi. Donc j’ai quand même juste parlé en cri. Je me souviens que j’étais très nerveux. J’avais peur d’être coupé par le président de la Chambre, ou même puni après. »
Si le député libéral a pu aller au bout de son discours en cri, il était cependant évident que son droit en tant que parlementaire à être entendu et compris était bafoué.
« La racine de « parlement », c’est quand même « parler », et donc aussi être écouté et compris quand on parle. Surtout que les Autochtones sont reconnus dans la Constitution, alors si les francophones et les anglophones peuvent être compris au Parlement, pourquoi devrions-nous nous battre pour ce même droit? Je suis allé voir le président à ce sujet et il a accepté d’en discuter avec les partis politiques. »
Ce dernier a fait appel au Comité des règlements de la Chambre des communes pour étudier la question de près et présenter si nécessaire des suggestions de changements aux règlements.
Quelque 18 mois plus tard, le comité a présenté son rapport. Le 27 janvier 2019, Robert-Falcon Ouellette a pu pour la première fois donner un discours entièrement traduit en français, anglais et cri.
« Aujourd’hui, c’est possible au Parlement de s’exprimer dans n’importe quelle langue autochtone, mais il faut en faire la requête d’avance. »
Le député a lui-même donné quatre ou cinq discours en cri dans la dernière année de son mandat comme député.
« L’importance de cette victoire pour moi, ce n’est pas seulement que les député.e.es autochtones puissent s’exprimer dans leur langue, c’est aussi et surtout que les discours en anglais ou en français puissent être traduits en langues autochtones. Ainsi, les Aîné.e.s qui écoutent les débats parlementaires à la télévision peuvent mieux comprendre », termine l’ancien député cri.
Cet article est issu de notre édition spéciale vérité et réconciliation, consacrée aux langues autochtones.