Par Clémence TESSIER (collaboration spéciale) et Hugo BEAUCAMP.
Situé sur la rue Main, l’organisme distribue chaque jour quelque 700 repas, des vêtements, et un peu d’espoir à celles et ceux qui vivent dans la rue ou en grande précarité.
Mais ces dernières années, un besoin s’est imposé avec force : offrir un point d’entrée rapide vers la désintoxication pour les personnes aux prises avec une dépendance sévère.
Pour mener à bien ce projet, l’organisme lance aujourd’hui un appel à la collaboration.
Fondé en 1911 comme petite église de quartier, l’organisme a évolué dans les années 1930 pour devenir une soupe populaire en réponse à la pauvreté grandissante de la Grande Dépression.
Depuis, il est devenu un pilier de soutien pour les personnes en situation d’itinérance ou de précarité.
« Il y a des moments où une personne dit : “J’en peux plus, je veux m’en sortir.” Et si on n’est pas prêt à l’accueillir là, tout de suite, on risque de rater sa fenêtre d’ouverture », explique Peter McMullen, directeur général de Lighthouse Mission.
Pour répondre à cette urgence, l’organisme est en train de rénover deux bâtiments historiques, les 667 et 669 Main Street, afin d’y aménager dix lits de désintoxication supervisée : cinq pour les hommes, cinq pour les femmes. La fin de ce projet est prévue à l’automne 2025.
Un projet né d’un bâtiment inutilisé
Le projet a pris forme pendant la pandémie, lorsqu’un espace attenant à la soupe populaire principale a été brièvement ouvert pour accueillir plus de gens. Les étages supérieurs, eux, restaient inutilisés depuis des décennies.
En devenant directeur en 2020, Peter McMullen a vu un potentiel : « On avait là deux étages vides dans un bâtiment chauffé. De plus, on constatait une explosion de la toxicomanie dans le quartier. Il y avait un lien évident à faire ».
À Winnipeg, les lits de désintoxication sont rares et l’attente est longue.
Présentement, le Health Sciences Centre et le Main Street Project offrent certains services, mais la demande dépasse largement l’offre.
« On a vu des gens refuser l’aide quand leur tour arrivait, parce qu’entre-temps, ils avaient replongé ou n’étaient plus motivés », raconte McMullen.
« Chaque lit disponible rapidement, c’est une chance en plus de sauver une vie », martèle-t-il.
Vers un nouveau départ
Les personnes accueillies dans le nouveau centre resteront en moyenne 12 jours.
L’objectif est de leur offrir une transition directe vers un programme de traitement à plus long terme.
« C’est là toute la différence : on ne les renvoie pas dans la rue ou dans un refuge après la désintoxication. On les accompagne vers la prochaine étape, vers un nouveau départ », explique Peter McMullen.
Selon le directeur, si le programme est bien implanté, il pourrait contribuer à réduire la population des refuges et des campements du centre-ville de Winnipeg jusqu’à 1 000 personnes par an.
L’équipe, qui comptera au moins quatre nouveaux employés, prévoit accompagner un nombre équivalent de participants chaque année dans ce parcours de transition.
Plusieurs membres du personnel ont eux-mêmes vécu une dépendance et complété un traitement, ce qui leur permet de tisser des liens authentiques avec les personnes qu’ils soutiennent.
C’est le cas notamment de Jason Snadden. Aujourd’hui ministre auprès de la communauté pour Lighthouse Mission, l’histoire de Jason Snadden en est une des plus inspirantes.
Après une « série de mauvaises décisions », sa dépendance à la drogue et ses activités de revendeur le mènent en prison en 2020.
C’est à ce moment-là, au plus bas, qu’il retrouve la foi et décide de changer, de se « repentir ».
Alors que la pandémie de coronavirus saisit le monde par surprise, il se voit accorder une libération sous caution et est en mesure de retourner vivre chez ses parents.
Le tribunal lui impose alors d’intégrer un programme et c’est comme ça que son chemin vers la sobriété commence.
À travers le programme Adult and Teen Challenge, Jason Snadden se retrouve impliqué auprès de Lighthouse Mission.
« J’ai senti que j’avais trouvé ma voie. Je suis tombé amoureux de ce que l’on fait ici et ça a changé ma vie. Cette fois-ci, je donnais de ma personne, je servais les autres. J’ai créé des liens et je me suis attaché à tant de personnes. Et elles me l’ont rendu. »
Il se mariera d’ailleurs avec sa compagne de longue date, elle aussi devenu sobre, dans le courant du mois de septembre.
Un budget plus lourd que prévu
Au départ, le projet de rénovation et d’agrandissement des bâtiments du 667 et du 669 rue Main était évalué à 3,4 millions $.
Toutefois, avec la hausse du prix des matériaux, l’obligation de remplacer les toitures, plutôt que simplement les réparer, et les contraintes liées au statut patrimonial des deux immeubles, la facture s’est alourdie.
Le coût total du projet s’élève désormais à 4,4 millions $.
L’inflation, les exigences liées aux bâtiments patrimoniaux et les hausses du coût des matériaux ont contribué à cette augmentation.
Jusqu’ici, environ 75 % du financement est assuré, grâce à des contributions des gouvernements fédéral, provincial et municipal, ainsi qu’à des dons privés.
Mais l’équipe doit encore trouver près d’un million de dollars pour mener à bien le projet.
« On a fait ce qu’on pouvait pour réduire les coûts, mais on ne veut pas sacrifier la sécurité du bâtiment ou l’efficacité énergétique », affirme Peter McMullen.
« Ce sont des édifices anciens, et rénover dans ces conditions coûte cher ».
Pour que les travaux puissent se poursuivre sans interruption, au moins 500 000 $ devront être amassés d’ici la fin juillet.
Faute de quoi, le projet risque de subir des retards ou des modifications qui pourraient nuire à sa mission initiale.
Face à ce manque à combler, Lighthouse Mission a lancé une campagne de levée de fonds.
« On fait tout ce qu’on peut pour trouver des partenaires, des fondations, des donateurs », dit Peter McMullen.
« Chaque contribution peut faire une réelle différence. »
La Province du Manitoba examine actuellement une nouvelle demande de subvention de 100 000 $.
D’autres fondations privées envisagent également un soutien financier.
Mais sans garanties, l’organisme envisage même, à contre-cœur, de s’endetter.
Il s’agit d’une option risquée pour une petite structure dont le budget annuel de fonctionnement ne dépasse pas 1,1 million $.
Chaînon manquant dans la lutte contre l’itinérance
Pour Peter McMullen, le projet répond à une faille dans les politiques publiques.
« Tous les niveaux de gouvernement veulent loger les personnes sans-abri, et c’est essentiel. Mais si on loge quelqu’un encore en plein dans sa dépendance, on ne règle pas le problème. On change seulement sa situation géographique ».
Or, les programmes de logement exigent généralement un séjour minimum de trois mois. Les 12 jours passés en désintoxication ne sont donc pas couverts par les enveloppes habituelles.
« On se retrouve entre deux cases administratives, alors qu’on répond à un besoin fondamental dans la chaîne de réinsertion », déplore le directeur.
« Il ne s’agit pas seulement d’éduquer, mais surtout de soutenir ceux qui souffrent, pour qu’ils puissent guérir », résume Peter McMullen.
Les personnes souhaitant contribuer peuvent faire un don directement sur le site Web de l’organisme.