En s’appuyant sur la Loi sur les langues officielles, Envol 91 FM appelle Radio-Canada à reconnaître son rôle dans l’épanouissement de la francophonie manitobaine.
Mais derrière cette demande se joue bien plus qu’une simple question contractuelle : c’est l’avenir d’un média de proximité, ancré depuis plus de 30 ans dans le paysage culturel manitobain, qui est en jeu.
Face à des coûts fixes qui pèsent lourd sur un budget limité et à une hausse constante des tarifs, Envol 91 FM cherche aujourd’hui à préserver sa mission : donner la parole aux francophones, relayer leurs voix et maintenir vivante la présence radiophonique française sur les ondes du Manitoba.
Au cours de l’année 2024, la radio communautaire Envol 91 FM dit avoir rejoint environ 117 000 francophones au Manitoba.
Pour rejoindre tous ses auditeurs, la radio a donc besoin de faire passer ses ondes par une antenne-relais. Une antenne-relais qui se trouve à Starbuck, au sud-ouest de Winnipeg.
Cette dernière permet de diffuser, dans un rayon de 110 kilomètres autour de Winnipeg, les programmes francophones d’Envol 91.
« Ça nous amène jusqu’à Gimli, la frontière ontarienne, la frontière américaine et jusqu’à Portage-la-Prairie », indique Denis-Michel Thibeault, directeur général de la radio communautaire Envol 91 FM.
« Elle permet de pouvoir rejoindre 90 % des francophones au Manitoba. Cette antenne-là, stratégiquement, elle est importante pour nous. On en a besoin pour notre survie. »
Et si le ton est grave, c’est parce que depuis 2024, Envol 91 FM tente de négocier une diminution des frais de location de l’antenne auprès de Société d’État CBC/Radio-Canada.
Des échanges sont en cours depuis un moment maintenant et récemment, Denis-Michel Thibeault a invoqué l’article 42.1 de la partie VII de la Loi sur les langues officielles (modernisée en 2023) pour faire avancer la locomotive.
La Loi dit ceci :
Le gouvernement fédéral reconnaît que la Société Radio-Canada, dans l’exécution de la mission que lui confère la Loi sur la radiodiffusion et sous réserve des ordonnances et des règlements pris par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, contribue par ses activités à l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à la protection et la promotion des deux langues officielles. Cette reconnaissance est faite dans le respect de la liberté d’expression et de l’indépendance en matière de journalisme, de création et de programmation dont jouit la Société Radio-Canada.
Me Guy Jourdain, ancien directeur de l’Association des juristes d’expression française du Manitoba, ancien directeur du Secrétariat aux affaires francophones et spécialiste en droits linguistiques, corrobore l’argument du directeur de la radio.
Il va même un peu plus loin en indiquant que la Société d’État Radio-Canada est doublement tenue de prendre des mesures positives pour favoriser l’épanouissement des collectivités francophones.
Il mentionne notamment la Loi sur la radiodiffusion. Si cette dernière concerne avant tout la programmation de Radio-Canada, Me Guy Jourdain soutient ceci : « Radio-Canada est tenue d’assurer une présence locale et régionale solide pour ces communautés, leur permettant de se « voir et s’entendre » sur les ondes et sur les plateformes numériques.
« Même s’il ne s’agit pas d’une mesure se rattachant à la programmation au sens strict, l’on pourrait faire valoir que l’aide à la radio Envol 91 serait conforme à l’un des objectifs généraux du mandat de Radio-Canada. À savoir, celui de soutenir l’épanouissement des collectivités francophones en situation minoritaire et de répondre à leurs besoins et intérêts propres. »
Pour la députée fédérale de Saint-Boniface–Saint-Vital, Ginette Lavack, il est clair que la vitalité des communautés francophones dépend en partie des médias « actifs et indépendants au sein de leur communauté ».
Selon elle, il est donc important que ces médias puissent bénéficier de soutien.
Dans le cas de la radio Envol 91, puisque les frais associés à la location de la tour semblent être un obstacle à son bon fonctionnement et sa vitalité, Ginette Lavack indique qu’elle a dans l’intention de se renseigner davantage sur la situation afin de « voir dans quelle direction l’on peut aller ».
« Je dirais que Radio-Canada, a un rôle à jouer. Ils sont là pour assurer une certaine vitalité et assurer que nos langues continuent à vivre. C’est important qu’ils s’engagent pour tout le reste de l’écosystème. »
« La radio communautaire Envol 91 FM est un des piliers de la communauté francophone, notamment dans le partage de la culture, les gens peuvent s’y entendre, s’écouter, se parler. Radio-Canada a le devoir de contribuer à l’épanouissement des communautés de langues officielles et je pense qu’ils peuvent nous aider », renchérit-elle.
Aujourd’hui, et l’AGA qui se tenait à la fin du mois de septembre le confirme, le plus grand défi auquel Envol 91 fait face actuellement, c’est un défi financier.
Pour rappel, le déficit de la radio pour la période de 2024-2025 s’élevait à 98 084 $. Une réduction des charges associées à la tour de transmission permettrait donc d’inverser la tendance.
À un peu moins de 35 000 $ par année, la location de la tour représente tout de même 7 % des dépenses du budget de la radio.
« C’est notre deuxième plus gros poste de dépense derrière les salaires », souligne le directeur général, Denis-Michel Thibeault qui précise qu’il n’y a pas vraiment d’autre alternative possible pour la radio.
L’acquisition d’une tour de transmission se chiffre environ dans les 250 000 $, « puis après ça il faut le personnel compétent pour l’entretenir, la faire fonctionner ».
C’est en partie pour ça que Denis-Michel Thibeault souhaite conserver le partenariat existant.
« Radio-Canada est capable de nous offrir accès à leur tour, à des gens qualifiés. D’ailleurs, les gens qui nous aident et nous soutiennent sont excellents et je n’ai aucun reproche à faire sur la qualité du service que l’on reçoit. »
Il s’agit donc principalement d’une question de coûts.
Le directeur d’Envol 91 rapporte qu’au cours de ses échanges avec Radio-Canada, l’on faisait valoir que la radio communautaire bénéficiait déjà d’un « prix d’ami ».
Mais Denis-Michel Thibeault indique que depuis 2019, les prix augmentent.
Pour en savoir plus sur les tarifs ainsi que la flexibilité de Radio-Canada Transmission, La Liberté a tenté d’obtenir une entrevue avec Radio-Canada. Leon Mar, le directeur des relations avec les médias et Gestion des enjeux a décliné notre demande.
Il indiquait qu’il n’était pas possible pour Radio-Canada de commenter les modalités de leurs contrats avec leurs clients. « Ces informations sont de nature privée et confidentielle », a-t-il répondu par courriel.
Finalement, pour comparer les dépenses d’Envol 91 en location par rapport à d’autres radios communautaires à travers le pays, la rédaction a également souhaité s’entretenir avec l’Alliance des radios communautaires du Canada (ARC), qui regroupe 28 membres (dont Envol 91).
Toutefois, là encore, Louis Béland, directeur général de l’Alliance n’a pas pu donner suite à notre demande.
« D’une part, parce que nous ne sommes pas au courant de la tarification que paient nos membres, et d’autre part, parce qu’il s’agit de contrats d’affaires entre les radios locales et Radio-Canada Transmission. Nous n’avons donc pas connaissance des détails. »
Initiative de journalisme local – Réseau.Presse – La Liberté