Par Lucille DOURLENS – collaboration spéciale.
Malgré le souhait affiché du Manitoba d’attirer des travailleurs francophones dans la province, peu l’ont effectivement rejointe ces dernières années.
En effet, selon les chiffres obtenus par Radio-Canada, la province a attiré, ces trois dernières années, 20 101 immigrants à travers son programme d’immigration provincial, dont 797 immigrants francophones, soit un peu moins de 4 % du total. Une fois sur place, d’autres défis commencent et peuvent également impacter la rétention.
C’est le cas Saossen Bouzouita. La pharmacienne de formation, arrivée en août 2023, a rapidement repris ses études afin de s’adapter au marché du travail de la province.
Après six ans d’études, une thèse de doctorat et dix ans d’expérience dans la gestion pharmaceutique, cette mère de famille de 38 ans ne peut pas directement exercer son métier au Manitoba.
Équivalence de diplômes
Elle est contrainte, d’abord, de faire une équivalence de diplômes si elle veut espérer continuer sa carrière dans son domaine d’expertise.
Néanmoins, il s’agit d’une longue démarche qui impacte aussi bien sur le plan moral que financier.
Pourtant, avant même d’immigrer à Winnipeg avec son mari et ses deux enfants, Saossen Bouzouita était bien consciente des difficultés qui l’attendaient.
« Je m’étais préparée depuis la Tunisie. J’avais cherché ce qu’il était possible de faire pour être pharmacienne au Manitoba. La première étape a été celle de l’équivalence des diplômes. »
Pour se faire, la jeune femme a, dans un premier temps, dû passer par le Bureau des examinateurs en pharmacie du Canada. Il s’agit du seul organisme du pays qui prépare à cette équivalence.
L’authentification des diplômes et des relevés de notes a été réalisée par l’intermédiaire d’un avocat avant son départ. Mais le processus est loin de s’arrêter là.
Pour obtenir une équivalence complète, la pharmacienne doit prendre des cours payants en ligne dispensés en intégralité en anglais.
« J’ai un niveau intermédiaire en anglais mais ça reste un défi pour moi. Cela demande beaucoup d’énergie et de temps », commente Saossen Bouzouita.
Un investissement conséquent
Et du temps, il en faut puisque la dernière étape exige aux professionnels du secteur de passer trois examens nationaux.
« Ça représente un investissement énorme. Et je dois aussi trouver du temps pour ma famille mais aussi comprendre et m’adapter au pays. Avec autant de stress, je ne me voyais pas me lancer dans cette étape dès le début. »
Au-delà de l’investissement moral, obtenir une équivalence est également coûteux. Les cours en ligne et le matériel nécessaire à l’apprentissage coûtent environ 22 000 $. Aucune bourse n’est proposée pour cette formation de deux ans. Ne travaillant pas, Saossen Bouzouita n’a pas non plus la possibilité de contracter un prêt à la banque. Ainsi, pour payer ses factures et subvenir aux besoins de sa famille, Saossen Bouzouita a fait le choix de ne pas poursuivre ces démarches.
Elle travaille désormais 30 heures par semaine en tant que suppléante à la Division scolaire franco-manitobaine (DSFM) et également comme assistante de recherche à l’Université de Saint-Boniface (USB). En parallèle, elle a repris ses études et prépare actuellement un baccalauréat en administration des affaires.
« C’est une façon de transformer cette difficulté en opportunité. Il a fallu trouver autre chose pour m’adapter au marché du travail canadien. »
Ayant la chance d’avoir majoritairement des cours du soir, Saossen Bouzouita a pu allier vie étudiante et vie professionnelle. À l’issue de cette formation de quatre ans qui la verra être normalement diplômée en juin 2026, Saossen Bouzouita espère ainsi intégrer le secteur de l’industrie pharmaceutique en visant des postes de gestionnaire, de ressources humaines ou encore de comptabilité.
Des difficultés
Actuellement en deuxième année d’études, si la mère de famille assume son choix et connaissait les exigences du Manitoba concernant sa profession, il n’en reste pas moins que cette expérience a été difficile à vivre.
« J’ai dû recommencer de zéro comme si je n’avais jamais pris de cours de ma vie. J’avais quand même espoir de trouver une solution en arrivant ici, un appui quelque part. J’ai été vraiment déçue. »
Ce sont des amis et des membres de la communauté francophone qui lui ont conseillé de se diriger vers des études autres que la pharmacie pour aller de l’avant et réussir à s’adapter aux exigences du marché. Encore en train de trouver ses repères, la pharmacienne de formation souhaite se laisser quelques années pour trouver ses marques et se sentir intégrée dans la communauté.
« Nous sommes venus au Manitoba pour Winnipeg, pour sa diversité culturelle. Nous cherchions une petite ville calme, avec une petite communauté francophone en dehors du Québec. Je me suis dit que j’avais un contrat moral et que je ne pouvais pas changer de province avant deux ou trois ans. »
Si la situation ne s’améliore pas d’ici la fin de son cursus, Saossen Bouzouita pense sérieusement changer de province et, peut-être opter pour le programme de qualification en pharmacie à l’Université de Montréal, une formation d’environ 16 mois où son statut de résidente permanente lui permettrait d’obtenir une bourse.


