Par Lê Hai Huong Vu.

La réflexion sur l’IA à l’université ne fait que commencer. Une partie du personnel enseignant s’adapte à son usage croissant par les étudiantes et étudiants, au risque de commettre des faux pas. Sur le campus, les avis restent partagés : certains l’utilisent pour étudier, d’autres craignent qu’elle nuise à leur apprentissage.

Depuis 2022, l’introduction des outils d’intelligence artificielle (IA) générative a provoqué «une panique totale» au sein des établissements postsecondaires canadiens, estime Martine Pellerin, professeure titulaire au Campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta et spécialiste en technologie éducative et de l’IA en éducation.

La professeure à temps partiel au département de français à l’Université d’Ottawa, Agathe Rhéaume, dit recevoir des textes qui ne semblent pas écrits par les étudiants, mais plutôt par «un critique littéraire qui a fait plusieurs doctorats en littérature».

Elle leur recommande de ne pas sous-estimer le jugement du corps professoral, qui est tout à fait capable de détecter si les travaux ont été rédigés par une IA générative ou non.

« On n’a pas le choix »

« On n’a pas le choix de s’adapter parce que les étudiants utilisent très largement l’intelligence artificielle. Trop, je vous dirais », confie de son côté la professeure en administration publique à l’Université d’Ottawa, Geneviève Tellier.

Néanmoins, Christian Blouin, le chef de la stratégie pour l’IA à l’Université Dalhousie, en Nouvelle-Écosse, met en garde contre l’argument que « ce texte-là semble trop bien pour cet étudiant ».

Selon lui, ce critère peut entrainer le corps professoral à se méfier de façon disproportionnée des étudiants dont le français est la langue seconde, puisque l’on a tendance à croire qu’ils s’expriment moins bien que ceux qui ont le français comme langue maternelle. Il faut éviter d’être trop « agressif » lorsqu’on tente de démontrer si une IA a effectué le travail, souligne l’expert.

Il est d’avis que cette technologie ne remplace pas la capacité d’analyse et de jugement. Le rôle du personnel enseignant, selon Geneviève Tellier, est d’amener les élèves à être capables de dire : « Oui, ça a de l’allure. Non, ça n’a pas d’allure » dans ce contexte.

L’IA comme un « petit professeur »

En octobre, la firme KPMG publiait les résultats d’un sondage pancanadien réalisé en ligne. Sur les 684 étudiants sondés, 73 % ont répondu utiliser des outils d’IA pour effectuer leurs travaux scolaires. De plus, 48 % ont l’impression que leur pensée critique s’est détériorée.

L’IA générative serait également vue positivement par des étudiants et des étudiantes de l’Université d’Ottawa. Selon les réponses à un questionnaire distribué par Francopresse*, environ 61 % des répondants et des répondantes se disent en faveur de son intégration dans l’enseignement et l’apprentissage à l’université. Une majorité, soit presque 70 %, croit apprendre « mieux » ou « plus » avec l’IA générative.

L’étudiant en première année en comptabilité à l’Université d’Ottawa, Kouakou Carl Othniel, explique qu’il utilise l’IA générative à la maison après ses cours. Il la compare à un « petit professeur » qui connait un peu tout et qui l’aide à consolider ses connaissances.

Néanmoins, 13 % des répondants croient que l’IA générative pourrait nuire à leur apprentissage : certaines personnes soutiennent que cette technologie incite à la surdépendance, la paresse et peut diminuer la créativité de ceux qui s’en servent.

Comment l’IA générative peut être utilisée pour étudier

L’étudiant en comptabilité Kouakou Carl Othniel explique qu’il utilise l’IA pour vérifier ses devoirs et, lorsqu’il commet des erreurs, pour recevoir des explications détaillées sur celles-ci, ce qui lui permet d’améliorer ses compétences.

Selon d’autres personnes qui ont répondu au questionnaire de Francopresse, l’IA générative est capable de créer des questions pratiques à partir de leurs notes de cours pour les examens. Ils l’utilisent comme une ressource de recherche efficace permettant d’obtenir rapidement une réponse ou pour créer des cartes mémoire et des jeux-questionnaires afin de tester leurs connaissances.

Une éducation à redéfinir?

La professeure Agathe Rhéaume encourage l’utilisation du papier et du crayon et la présence en personne pour ses examens. Elle est convaincue que c’est la seule manière de vérifier quelles sont les « vraies » compétences de rédaction des étudiants.

Geneviève Tellier estime constater que les enseignants en littérature et en histoire proposent plus d’examens oraux à leurs étudiants afin d’éviter des travaux écrits par l’IA générative.

D’après la professeure en administration publique, un des principaux défis pour les professeurs est l’absence d’outils de détection fiables. Elle indique que les logiciels existants pour détecter l’IA générative « ne sont pas fiables à 100 % », contrairement à ceux utilisés pour repérer du plagiat.

Christian Blouin affirme qu’il faut éviter de rendre les évaluations « AI proof ». À son avis, cela « stigmatise les étudiants en les exposant au fait qu’on pourrait les percevoir comme susceptibles de tricher ». Il met l’accent sur l’importance de centrer l’évaluation sur la compréhension, plutôt que de se concentrer sur leur travail ou sa qualité.

Le spécialiste rappelle qu’on a « toujours imaginé qu’il y a des choses que seuls les humains étaient capables de faire. Maintenant, on a des logiciels capables de faire ce qu’on croyait être unique aux humains. Donc, la question est : […] “Comment est-ce qu’on s’adapte aux changements sans perdre notre humanité?” »

La littératie en IA, est-ce nécessaire?

« Beaucoup d’enseignants n’ont pas vraiment les outils ou le temps pour explorer quelles sont les implications de l’IA dans leur domaine », souligne Christian Blouin.

Martine Pellerin ajoute que les formations en IA pour les professeurs et étudiants sont rares, ainsi que les cadres de référence pour son utilisation dans l’enseignement supérieur. Chaque enseignant peut décider d’autoriser ou d’interdire l’IA dans la plupart des établissements.

D’autres entrent les travaux des étudiants dans ChatGPT pour en faire la révision, puis donnent des commentaires inadaptés au profil de leurs étudiants, raconte la professeure. Elle explique que les enseignants ne devraient pas utiliser ChatGPT de cette façon sans autorisation des étudiants, car ces données peuvent servir à entrainer l’IA, ce qui amène des enjeux de sécurité et d’éthique.

Christian Blouin et Martine Pellerin recommandent aux professeurs de discuter avec leurs étudiants et étudiantes pour comprendre leurs motivations et identifier les stratégies à mettre en place.

Geneviève Tellier raconte qu’elle propose, depuis deux ans, des travaux optionnels sur l’IA générative. Ses étudiants et étudiantes voient d’abord la réponse de l’IA, puis cherchent dans des textes scientifiques ce que les chercheurs disent sur le sujet pour faire une comparaison. En général, l’IA ne va pas assez loin, révèle la professeure.

*Méthodologie

Un questionnaire en ligne créé par Francopresse a été distribué à des étudiants et des étudiantes de l’Université d’Ottawa avec l’aide de 15 enseignants et enseignantes de cours en français.

La récolte des données s’est faite entre le 26 et le mercredi 29 octobre 2025. Un total de 23 personnes a répondu. Le sondage n’est pas scientifique et n’a pas de marge d’erreur puisque l’échantillon n’est pas aléatoire.