L’ancien chancelier d’Allemagne Helmut Schmidt avait un jour noté que la faiblesse congénitale de la démocratie tenait à la nécessité d’avoir un chef capable de générer de la sympathie. Une exigence qui s’est amplifiée avec l’avènement de la télévision. L’homme d’État allemand n’hésitait pas à parler de la « démocratie télévisuelle ».

Les nouvelles technologies n’ont fait qu’amplifier l’évidence du constat. Au-delà de tous les spins politiques possibles et imaginables, l’enjeu capital des militants de tout parti n’est pas de choisir le meilleur leader dans l’absolu, mais de deviner quel sera le plus attractif à l’heure des élections.

Le vote, sans précédent dans l’histoire politique canadienne, que les néo-démocrates du Manitoba ont cru bon de s’infliger le 8 mars (à la Journée internationale des femmes), a fini avec un maigre écart de 33 voix sur 1 490. À trois douzaines de voix près, les Manitobains assistaient au triomphe du look.

« T. O. », pour Theresa Oswald, était la championne des jeunes du parti néo-démocrate. À leurs yeux, il fallait ni plus ni moins la sémillante T.O. pour sauver leurs chances d’avoir un bel avenir au Manitoba. Pour eux, venu le temps des prochaines élections, elle n’aurait fait qu’une bouchée, grâce à son énergie extraordinaire, du chef conservateur Brian Pallister.

Au bout du compte, une très faible majorité de partisans néo-démocrates n’a pas accepté cette manière de voir la suite des évènements pour conserver le pouvoir. 759 se sont prononcés en faveur du bilingue aux cheveux blancs. Et cela bien qu’il n’ait pu, malgré sa victoire électorale de 2011, totalement émerger de l’ombre de son prédécesseur, le flamboyant Gary Doer.

À une pleine année des prochaines élections manitobaines, dont l’enjeu pour le NPD est l’obtention d’une cinquième majorité de file, bien malin qui pourrait affirmer que les néos viennent de se blesser mortellement. En effet, le député de Saint-Boniface fait dorénavant partie de la lignée des survivants politiques. Peut-être même appartient-il à cette espèce d’élus politiques que la chance ne laisse jamais tomber.

Ainsi, qui aurait jamais pu oser prédire dans les années 1900, 1930, 1950, voire même 1990, que les électeurs du comté de Saint-Boniface verraient un jour leur député assis dans la chaise du premier ministre? Greg Selinger a déjà fait l’histoire de Saint-Boniface, et donc du Manitoba, quand il est devenu chef des néos et premier ministre en 2009.

Mais si l’aboutissement du suspense des quatre derniers mois pourrait renforcer l’autorité et l’aura politique du vainqueur in extremis, il reste que les origines du psychodrame ont été consciencieusement ignorées. Car à la racine du désamour populaire à l’endroit de l’ancien ministre des Finances se trouve en grande partie sa décision d’augmenter de un pour cent la taxe de vente provinciale. Alors qu’il avait mis sa crédibilité en jeu en affirmant qu’il n’en était pas du tout question.

« Les plus intelligents sont ceux qui changent d’avis avant les autres », assurait le général de Gaulle, expert en politique. Dans cet esprit, le diplômé de la London School of Economics Greg Selinger avait bien le droit de comprendre son erreur et de vouloir la rectifier. Mais en tentant de se justifier, il a dû faire appel à la raison du citoyen et à l’intérêt général. Or il avait fait sa promesse à l’électeur-consommateur, hélas coincé dans son petit égoïsme financier.

S’il avait succombé à la mutinerie interne, Greg le Survivant n’aurait pas seulement été une victime de la démocratie à la mode du look.

Au fin fond, sa chute aurait tenu à la faiblesse congénitale de trop de partis politiques canadiens, qui se contentent de s’adresser à l’électeur-consommateur plutôt que de mettre au défi le citoyen électeur.

La période historique au plan politique que le Manitoba vient de traverser devrait valoir leçon de morale politique. Nos élus devraient d’abord agir dans l’intérêt de notre démocratie. Et non dans l’intérêt à courte vue d’un électorat trop souvent sensible aux sirènes du populisme.

Bernard BOCQUEL