La Liberté ÉDITO

Par Jean-Pierre Dubé

@jeanpierre_dube

La Liberté du 3 décembre 2014

Le héros des Misérables, Jean Valjean, a été condamné à 20 ans de galères pour avoir volé un pain. Il avait faim. On a l’a déclaré criminellement irrécupérable. Pour le reste de ses jours, qu’importe sa probité, il sera poursuivi par l’inspecteur Javert, l’exalté de la ligne dure.

Cette forme de pensée nourrie par la droite religieuse a généré pendant 40 ans une croissance effrénée de l’industrie carcérale américaine. Avec 5 % de la population du globe, les USA en coffrent 25 % des prisonniers. Surtout des membres de minorités visibles.

Mais en septembre 2014, le procureur général Eric Holder a annoncé une réduction « historique » de la population carcérale, soit une baisse nette de 4 800 détenus. Il prévoit une diminution de 12 000 prisonniers d’ici deux ans. Que se passe-t-il?

Washington a réduit les sentences obligatoires minimales pour les contrevenants non violents. La Fair Sentencing Act (2010) a diminué notamment les peines relatives au trafic de crack et de cocaïne. Résultat : une importante baisse budgétaire sans mousser la criminalité.

Selon Eric Holder, la recherche indique « que les taux élevés d’incarcération et les peines inutilement longues n’ont pas joué un rôle significatif dans l’amélioration de la sécurité publique et la réduction de la criminalité ».

Les Américains sont environ dix fois plus nombreux que nous. En 2011, ils enregistraient 16 238 homicides, presque 30 fois plus que chez nous. Selon Statistique Canada, le taux de criminalité a reculé de 8 % en 2013 au pays, le taux le plus bas depuis 1969.

Sur les 15 000 prisonniers du fédéral, note le Bureau de l’enquêteur correctionnel d’Ottawa, « 40 % appartiennent aux minorités visibles (noirs, asiatiques ou hispaniques) ou sont des communautés autochtones. Ces groupes représentent un quart des 35 millions d’habitants ».

Le nombre de prisonniers et de cellules continue toutefois à augmenter. Le vérificateur général a dévoilé en mai que nos prisonniers sont à l’étroit « malgré le fait que le gouvernement canadien ait ajouté récemment plus de 2 700 cellules ». Pourquoi?

D’après Michael Ferguson, « les réformes de la justice pénale du gouvernement Harper comprennent notamment des peines minimales obligatoires pour toute infraction ». Par exemple, six mois de prison pour six plantes de marijuana.

Les procédures accélérées d’examen des libérations conditionnelles ont été abolies et les délais pour une demande allongés. On a éliminé un nombre de peines qui pouvaient se purger par du travail communautaire. Le Parlement a même adopté en juin une loi pour punir les fêtards qui se soulagent sur les monuments des vétérans.

Les récentes menaces à la sécurité des parlementaires et des militaires procurent un nouveau prétexte pour l’ajout de crimes. Des pratiques de surveillance douteuses sont légitimées et multipliées. La justice persécutera les personnes vulnérables au recrutement de fanatiques religieux au lieu de les soigner. L’autorité allongera le bras outre-frontière et agira vigoureusement pour ne pas laisser à l’ennemi le temps de se mobiliser.

Pas étonnant que le seul budget à la hausse au Canada soit invariablement celui de la police.

Comment finit Javert? Incapable de se réconcilier avec la réalité, il s’est jeté en bas du pont. Un jour, le pays sortira de l’obscurantisme et on fermera aussi des prisons.