Par Bernard BOCQUEL

Voulue par l’archevêque très patriote de Saint-Boniface, La Liberté parut la première fois le 20 mai 1913 sous l’égide de sa congrégation, les Oblats de Marie Immaculée, qui n’avaient rien à refuser à Mgr Langevin.

Entre 1913 et 1970, l’existence du journal tint en grande partie à l’engagement des religieux, mais bien sûr aussi à un noyau de lecteurs désireux de s’abonner. Dans les foyers d’avant la radio, La Liberté était cet espace public qui leur permettait la curiosité de remettre à jour les liens de parenté et d’amitié. Les messages pour justifier la survivance nationale se mêlaient aux petites nouvelles des paroisses. Dans le journal, les distances s’effaçaient. Saint-Léon côtoyait Sainte-Rose du Lac, La Broquerie, Saint-Claude, Saint- Boniface ou Saint-Pierre-Jolys.

Cette oeuvre sociale des Oblats devint insoutenable dans les années 1960, décennie de grands bouleversements qui entraîna bien des religieux à quitter les ordres. En 1970, les propriétaires passèrent la responsabilité de la survie du journal à la toute jeune Société franco-manitobaine. C’était à un temps où la ferveur de quelques poignées de militants autorisait à entretenir des espoirs d’avenir. Mais faute de compétences laïques suffisantes dans le domaine des communications, La Liberté connut surtout des années difficiles.

Heureusement, il y eut assez de personnes qui comprirent la nécessité absolue d’un média capable de continuer à témoigner, commenter par écrit et servir de point de ralliement à la cause de la francophonie manitobaine.

Malheureusement, ces constants efforts d’assurer la publication d’un journal au sein d’une francophonie dans le doute d’elle-même ont produit un mythe tenace. La Liberté est trop souvent vue comme un organisme communautaire, alors qu’il s’agit d’une entreprise qui existe selon les lois du commerce. Tout le monde comprend que si le Fédéral cesse de verser (par exemple) des subventions à la Société de la francophonie manitobaine, les employés de la SFM devront se trouver un travail ailleurs. Eh bien si Ottawa décidait d’éliminer la petite subvention qu’il accorde à certains journaux, La Liberté accuserait le coup, mais n’en mourrait pas. Car cette aide fédérale ne correspond même pas à 10 % du budget du journal.

Si La Liberté peut fêter ses 105 ans, à une époque où tant de journaux ont disparu ou voient leur mort se profiler, c’est parce que depuis près d’une dizaine d’années, la direction du journal et son conseil d’administration sur lequel siègent des gens d’affaires avisés ont entrepris de développer des modèles d’affaires successifs rentables. Ce sont ces suites décisionnelles qui vous permettent encore de lire ce journal.

Et nous disons bien lire ce journal et non consommer ce journal, comme le veut le verbe à la mode depuis quelques années. Un usage qui n’est évidemment pas dû au hasard. Le verbe consommer correspond au développement fantastique de moyens technologiques au service d’entreprises qui étalent toujours plus leurs contenus : musique, films, textes, etc. Cette consommation à outrance ressemble de plus en plus à une fuite en avant dans un vain divertissement. Or, ce n’est que trop clair, les humains ont besoin de développer leur volonté de vivre ensemble, d’entretenir les liens noués.

C’est pourquoi à nos yeux vous n’êtes pas des consommateurs. Vous êtes d’ailleurs bien plus que des lectrices et lecteurs. Vous êtes par-dessus tout des collaboratrices et des collaborateurs au projet le plus fondamental qui nous intéresse : celui de permettre le développement d’un solide noyau de bilingues au Manitoba. Là niche le secret profond de notre longévité : dans la réciprocité de nos liens.

La Liberté, c’est une énergie fédératrice, l’indispensable présence qui vous permet de vous sentir soudés à toutes celles et ceux qui partagent votre désir d’être vous-mêmes, et toujours plus vous-mêmes.