Chronique de Raymond Hébert – Le 8 février 2011

La députée conservatrice de Saint-Boniface Shelly Glover continue son ascension dans les rangs décisionnels du gouvernement Harper avec sa nomination le 30 janvier comme secrétaire parlementaire du ministre des Finances.

C’est un honneur pour elle et une promotion par rapport à son poste précédent de secrétaire parlementaire aux Affaires indiennes et du nord, mais il reste à savoir si son influence se fera sentir, notamment sur le budget qui sera déposé en mars.

Il y a une démarche, très modeste financièrement, que le gouvernement Harper pourrait inclure dans ce budget, et c’est le maintien de subventions accordées à quatre organismes qui luttent contre l’implication de jeunes gens vulnérables dans les gangs de rue à Winnipeg. Les subventions fédérales à ces quatre organismes se terminent à la fin mars 2011.

Chacun de ces organismes œuvre auprès de groupes ciblés de jeunes : Circle of Courage vise les jeunes autochtones de 12 à 17 ans; Oasis vise des réfugiés de pays en guerre âgés de 12 à 21 ans et qui sont à risque de joindre des gangs; West Central Youth Outreach qui vise des jeunes de familles pauvres dans le quartier Daniel McIntyre; et Turning the Tides, qui lui aussi vise des jeunes susceptibles de joindre des gangs. Face à l’incertitude budgétaire, le personnel de ces quatre organismes est déjà en voie d’être mis à pied.

En tant qu’ancienne agente de police, Mme Glover est bien placée pour connaître l’importance de programmes de prévention dans la réduction du crime. Or toutes les initiatives budgétaires prises ou annoncées depuis l’arrivée au pouvoir des conservateurs portent sur une détention accrue de criminels (la construction ou l’agrandissement de prisons) ou encore sur des mesures qui rendront plus difficile la réinsertion de gens qui ont commis des crimes dans la société (l’augmentation substantielle du coût de pardons, annoncée récemment par le ministre Vic Toews).

Nous savons que le coût de la construction de nouvelles facilités de détention sera exorbitant, soit au moins 2 milliards de dollars jusqu’à maintenant. Nous savons aussi que plusieurs milliers de nouveaux employés (4,000 jusqu’à maintenant) devront être embauchés pour assurer la garde d’un nombre grandissant de détenus qui passeront de plus en plus de temps en prison, entraînant encore des coûts supplémentaires énormes et permanents payés par les contribuables canadiens.

Peu de Canadiens savent que ces mesures ne feront à peu près rien pour rendre la société canadienne plus sécuritaire. D’innombrables recherches aux États-Unis et en Europe ont démontré que la détention en soit n’a à peu près aucun effet sur les taux de criminalité. C’est ce qu’ont fait savoir au premier ministre Harper (comme s’il ne le savait pas déjà) plus de 550 médecins et universitaires, y compris le professeur David Alper du Collège universitaire de Saint-Boniface, dans une lettre datée du 6 février. Les églises chrétiennes les plus importantes, y inclus l’église catholique, ont aussi dénoncé fortement cette nouvelle orientation dans le système correctionnel comme étant contreproductif dans une lettre adressée au premier ministre le 17 décembre dernier par le Conseil des églises pour la justice et la criminologie.

Il faut souligner aussi, dans ce même contexte, que les taux de criminalité dans la plupart des domaines étaient à la baisse au Canada longtemps avant que les conservateurs initient ce programme insensé. Alors pourquoi l’ont-ils fait? Puisqu’ils ont rejeté la science et donc la rationalité dans ce domaine, il ne reste que deux motifs : une idéologie aveugle, fondée sur la vengeance contre les criminels, ou encore une réaction politiquement opportuniste au grand nombre de Canadiens qui peuvent croire naïvement qu’en augmentant le nombre de cellules de prison et de gardiens ils seront plus en sécurité. Il n’y a à peu près rien dans les recherches scientifiques qui vienne appuyer cette proposition. Non, le seul but de ces démarches, exprimé par le premier ministre Harper lui-même aux applaudissements chaleureux de son caucus récemment, c’est « keep the bad guys out of circulation for a while ».

Un des seuls domaines de criminalité qui soit à la hausse depuis quelques années est justement la criminalité chez les jeunes, autant adolescents que jeunes adultes. Et souvent ces crimes sont reliés à l’appartenance à des gangs de rue. Comme société, nous devrions donc tenter d’assurer que les jeunes ne s’associent pas à des gangs au départ, d’où la nécessité justement de programmes tels que ceux décrits ci-haut.  Sûrement Mme Glover, munie de son expérience professionnelle, est au courant de ce besoin urgent de prévention dans le but de rendre notre société réellement plus sécuritaire. Espérons qu’elle utilisera son influence comme secrétaire parlementaire du ministre des Finances pour restaurer le financement aux organismes winnipégois menacés.