Un débat des chefs fédéraux en français sans aucune mention des besoins des francophones minoritaires a-t-il véritablement une portée nationale?
Daniel BAHUAUD
L’exclusion des francophones hors Québec, lors du débat en français des chefs des partis politiques fédéraux du 13 avril, a froissé plus d’un particulier et d’un organisme porte-parole des communautés minoritaires de langue française.
« Clairement, l’intention du consortium médiatique responsable du débat était de livrer une discussion pour le Québec, sur les enjeux du Québec, à l’exclusion des 2,5 millions de francophones et francophiles qui vivent dans les neuf autres provinces et les trois territoires », a déclaré la présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA), Marie-France Kenny. « La FCFA trouve tout simplement ahurissant que les organisateurs du débat n’aient retenu aucune question provenant de téléspectateurs francophones ailleurs qu’au Québec. »
Même son de cloche chez le président-directeur général de la Société franco-manitobaine, Daniel Boucher. « C’est décevant, lance-t-il. De plus en plus, lors des campagnes électorales, les débats des chefs deviennent des débats québécois. Bien entendu, répondre aux besoins des Québécois, c’est positif en soi. Mais nous existons aussi. Les débats sont censés être nationaux. Il faudrait faire en sorte que tous les Canadiens se sentent interpelés. »
Résidant de Saint-Boniface, Raymond Lafond, qui a regardé le débat des chefs, abonde dans le même sens. « Il aurait fallu avoir au moins un intervenant de l’extérieur du Québec, mentionne-t-il. Quant aux chefs eux-mêmes, Stephen Harper et Michael Ignatieff ont tous deux mentionné les francophones minoritaires au détour d’une phrase. En revanche, les candidats ont tout de même parlé des enjeux qui touchent tout le monde. »
Plainte à l’ombudsman
Le débat des chefs était organisé par un consortium composé de la Société Radio-Canada (SRC), du réseau TVA, de la Canadian Broadcasting Corporation, et des réseaux CTV et Global, cinq chaînes qui diffusent à la grandeur du pays.
« La SRC a un mandat pancanadien, soutient Daniel Boucher. Quant à TVA, il diffuse partout depuis 1998, grâce à l’appui que nous, francophones hors Québec, lui avons donné. »
En effet, l’ombudsman des services français de la SRC, Julie Miville-Dechêne, a déjà reçu une plainte d’un particulier du Nouveau-Brunswick, qui déplore « le manque de leadership de la SRC, qui devrait faire une place aux minorités linguistiques du pays. »
« Pas une question n’était liée, de près ou de loin, aux francophones hors Québec, indique la personne qui, pour des raisons du devoir de confidentialité de l’ombudsman, doit demeurer anonyme. Ces derniers ont également des revendications et des attentes envers cette élection. En contraste, le débat en anglais comportait au moins une question posée par une anglophone du Québec. »
L’ombudsman de la SRC a déjà demandé aux organisateurs de donner suite à la plainte. « C’est une question délicate, indique Julie Miville-Dechêne. Mon rôle est de faire respecter la rigueur et l’exactitude des reportages. Or, le choix des sujets abordés lors du débat des chefs relève de la liberté de la presse. Je n’interviens pas dans les choix éditoriaux.
« N’empêche que je suis sensible à la réaction des francophones à la grandeur du pays, poursuit-elle. De nombreux commentaires sur le site Internet de la SRC reflètent la teneur de la plainte que j’ai reçue. »
Pour sa part, le porte-parole du consortium, Marco Dubé, rappelle que le débat des chefs était organisé sous certaines contraintes. « Le débat a reçu 11 000 questions mais devait tenir compte de six thèmes clés, alors il a fallu faire des choix, soutient-il. Nous avons donc mis l’accent sur le contenu des questions plutôt que leur provenance, puisque notre but était de soulever les préoccupations qui touchent tous les Canadiens d’un océan à l’autre.
« De plus, poursuit-il, les questions n’ont pas été choisies par la SRC ou même TVA. C’est le consortium qui les a choisies. Cela dit, je suis conscient des réactions soulevées par l’absence de questions en provenance de l’extérieur du Québec. Je les reçois. Lors d’une prochaine élection fédérale, le consortium devra évaluer le contexte politique du moment pour voir s’il y a lieu de tenir compte de telles réactions. »
« J’espère vraiment que le consortium donnera suite à la plainte et réfléchira à son affaire, déclare Daniel Boucher. Parler de la réparation du pont Champlain nous laisse complètement indifférents. »
Daniel Boucher : « Parler de la réparation du pont Champlain nous laisse complètement indifférents. »