À travers l’exemple de l’ancienne maison de ses grands-parents, le cinéaste franco-manitobain, Stéphane Oystryk, réfléchit sur l’état de Saint-Boniface.

Camille SÉGUY

En juillet dernier, le cinéaste franco-manitobain, Stéphane Oystryk, a réalisé, dans le cadre d’un événement du Winnipeg Film Group, une vidéo de quelque 90 secondes intitulée 177, boulevard Dollard.

Saint-Boniface
Stéphane Oystryk devant l’ancienne maison de ses grands-parents à Saint-Boniface, aujourd’hui en location.

« Le 177, boulevard Dollard était la maison de mes grands-parents, explique Stéphane Oystryk. Quand ils sont décédés, il y a environ trois ans, la famille a vendu la maison et le nouveau propriétaire en a fait une propriété pour locations. Ça m’a déçu car j’ai beaucoup d’histoires dans cette maison, donc j’y voyais plutôt une famille ou quelqu’un à long terme, et non pas de passage. Pour moi, la maison a cessé de vivre. »

Au-delà du cas de cette maison, dont le jardin autrefois bien entretenu n’existe plus et la barrière, qui était repeinte en blanc chaque année, est maintenant taguée et décrépite, Stéphane Oystryk s’est rendu compte en faisant quelques recherches que le phénomène n’était pas isolé à Saint-Boniface.

« Le 177, boulevard Dollard n’est que le point déclencheur pour raconter une histoire plus large, affirme-t-il. J’ai trouvé que 65 % des résidences à Saint-Boniface sont à louer.

« Je savais déjà que quelque chose clochait car j’avais vu beaucoup d’affiches pour des locations, ajoute-t-il, mais ce chiffre m’a surpris et fait de la peine. Souvent, des locataires s’impliquent moins pour leur maison, mais aussi pour le quartier et la communauté. C’est triste car Saint-Boniface a une culture, une histoire et une identité particulières, et ça va se perdre si on n’a que des locataires. »

 

177, boulevard Dollard from Pretty Grizzly on Vimeo.

Boule de neige

Stéphane Oystryk a ensuite posté sa vidéo sur Internet, notamment dans les réseaux Facebook et Viméo. Très vite, elle a circulé et a été visionnée par plusieurs membres de la communauté, dont l’Association des résidents du Vieux Saint-Boniface (ARVSB), Entreprises Riel et le conseiller municipal de Saint-Boniface, Daniel Vandal.

« Quand j’ai vu cette vidéo, je l’ai tout de suite faite circuler parmi les membres de l’ARVSB et mes contacts, assure le président de l’ARVSB, Walter Kleinschmit. Ça montre qu’il faut absolument faire quelque chose pour réhabiliter le quartier, comme le West End a fait. »

Ce problème d’excès de locataires temporaires à Saint-Boniface était déjà connu de l’ARVSB. La question était à l’ordre du jour de sa dernière assemblée générale annuelle au printemps 2011.

« On a commencé à travailler sur cette question en juin, mais on va s’y remettre deux fois plus fort car cette situation nous inquiète, confie Walter Kleinschmit. Cette vidéo est une bonne chose car elle a mis le problème en avant et suscité beaucoup de dialogue et de réflexion dans la communauté. Elle a touché de nombreuses jeunes familles grâce à Facebook. »

Le directeur général d’Entreprises Riel, Normand Gousseau, qui est partenaire de l’ARVSB sur ce dossier, partage son enthousiasme au sujet de la vidéo de Stéphane Oystryk.

« Cette vidéo montre bien qu’on n’est pas les seuls à penser qu’il y a un problème de logements à Saint-Boniface et qu’il est temps de réagir, se réjouit-il. Ça confirme notre découverte et l’intérêt de notre démarche. Le déclin n’est pas encore trop sérieux mais si on ne fait rien maintenant, ce sera pire. »

Entreprises Riel avait d’ailleurs créé pour cela, au début de l’été, un comité de travail sur le dossier. « On est vraiment au début du processus, précise Normand Gousseau. On n’a encore rien de concret. Le comité est chargé d’étudier ce qui se pratique ailleurs et de constituer un projet pour Saint-Boniface à long terme. »

Walter Kleinschmit, de même que Stéphane Oystryk, assurent toutefois que l’objectif « n’est pas de ne plus avoir de locataires, car c’est inévitable à Saint-Boniface avec l’Université et l’Hôpital, mais plutôt de travailler avec les propriétaires pour qu’ils respectent mieux les règlements de propreté de la Ville ».

Le conseiller municipal de Saint-Boniface, Daniel Vandal, rappelle à ce sujet que « la Ville ne peut pas empêcher les propriétaires actuels de louer leurs résidences, mais on peut les obliger à respecter des standards de propreté comme avoir une clôture en bon état. Ce sont aux citoyens de nous aviser s’ils voient une maison en mauvais état, pour éviter de trop grandes dégradations ».

La Ville travaille par ailleurs déjà avec Entreprises Riel et les urbanistes, ainsi qu’avec les deux autres niveaux de gouvernements, pour « aider les jeunes à acheter leur premier logement grâce à des programmes incitatifs, au lieu de le louer », annonce Daniel Vandal.

« Je ne m’attendais pas à recevoir autant de commentaires sur ma vidéo, conclut Stéphane Oystryk. C’est la première fois qu’une de mes vidéos résonne autant chez les gens. J’en suis très content car j’ai la communauté à cœur et je pense qu’il faut parler de ce problème. »

L’ARVSB souhaite continuer à travailler avec Stéphane Oystryk sur d’autres projets vidéos au sujet de Saint-Boniface.