Madame la rédactrice,

Au cours des prochains mois, nous assisterons à un processus qui redessinera, pour les dix prochaines années, la carte électorale du Canada. En vertu de la Loi sur la révision des circonscriptions électorales, le président de la Chambre des communes a nommé, le 16 février dernier, vingt personnes qui siégeront au sein des dix commissions provinciales de délimitation des circonscriptions électorales. Pour le Manitoba, ce sont les professeurs Paul Thomas et Kelly Saunders qui ont été nommés. Chacune de ces commissions sera présidée par un juge de la province. Ces commissions auront la tâche de redessiner les circonscriptions électorales fédérales pour leur province respective.

Les commissions ont l’obligation, sous la Loi, de « prendre en considération […] la communauté d’intérêts ou la spécificité d’une circonscription électorale d’une province ou son évolution historique » (1). Il nous revient donc de faire preuve de vigilance dans ce dossier, car un redécoupage qui ne tient pas compte de la réalité de la francophonie manitobaine risque d’affecter substantiellement notre poids démocratique.

Il suffit de se rappeler de l’expérience toute récente du Manitoba. En 2008, la nouvelle carte proposée par la Commission de la division électorale du Manitoba ne tenait pas compte de notre réalité démographique. Inutile de dire que la francophonie manitobaine voyait son impact et sa force de frappe démocratique grandement diminués. Ce n’est qu’en présentant des mémoires à la Commission que nous avons pu les alerter à notre réalité et aux conséquences de leurs démarches, et que la Commission a pu corriger le tir dans sa proposition finale.

En tant qu’institution fédérale, Élections Canada est assujettie à la Loi sur les Langues Officielles. Les dix commissions provinciales le sont aussi. Or, la Partie VII de cette Loi exige de toutes les institutions fédérales de prendre des mesures positives pour « favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement, ainsi qu’à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne ». (2)

En d’autres mots, les commissions provinciales chargées du redécoupage des circonscriptions électorales ont l’obligation additionnelle, dans le cadre de leurs fonctions, de soutenir le développement des communautés de langue officielle, et non seulement de les « prendre en considération » sur un pied d’égalité avec d’autres intérêts démographiques, économiques, culturelles ou sociales. Le dévoilement d’une nouvelle carte qui affaiblit la communauté francophone du Manitoba ne serait donc pas simplement malheureux, mais constituerait plutôt une enfreinte à la Partie VII de la Loi sur les langues officielles, et une violation de nos droits en vertu de celle-ci.

Je fais appel à tous les francophones du Manitoba de garder un œil attentif au cours des prochains mois sur le travail de la commission provinciale. En vertu de la loi, cette commission proposera un projet de carte qui sera publié dans la Gazette du Canada et dans au moins un journal local à grand tirage. La carte proposée sera aussi accompagnée d’un avis fixant les dates, les heures et les lieux des audiences publiques. Toute personne voulant participer aux audiences publiques devra en informer la commission dans les 23 jours suivant la publication de cet avis.

Pourquoi ne pas prendre une longueur d’avance et examiner dès aujourd’hui la carte électorale qui sera bientôt remplacée? Quelles communautés francophones se trouvent dans les limites de votre circonscription? Lesquelles sont exclues? Quelles modifications à la carte, selon vous, pourraient mieux servir au développement de notre communauté?

Le redécoupage des circonscriptions électorales ne se fait qu’à tous les dix ans. La carte électorale doit refléter la réalité démographique du Canada.

Assurons-nous qu’elle reflète aussi celle de notre communauté.

 

Maria Chaput | Sénatrice Le 21 février 2012

(1) Loi sur la révision des circonscriptions électorales, article 15.(1)(b)

(2) Loi sur les Langues Officielles, article 43.(1)