Nous avons appris la nouvelle cette semaine que la ville de Winnipeg a entrepris des démarches concrètes pour vendre l’ancien poste de police situé boulevard Provencher à la condition que le nouveau propriétaire démolisse l’édifice et construise des condominiums sur le site. Le coût d’achat serait de 470 000 $.

La démolition de cet édifice serait un acte criminel, aussi grave, par exemple, que si l’on mettait le feu à un Van Gogh ou un Monet.

La raison est évidente pour quiconque demeure à Winnipeg et plus particulièrement à Saint-Boniface ou encore qui connaisse le moindrement la carrière, l’œuvre et la réputation de l’architecte de l’édifice en question, Étienne Gaboury.

Toute sa vie, Étienne Gaboury a fait carrière comme architecte dans sa province natale du Manitoba, résistant à quelques reprises à la tentation de graviter vers de plus gros centres comme Toronto ou Vancouver où l’on faisait de l’architecture dite « internationale ». Formé au Collège de Saint-Boniface, il y acquit des principes spirituels et esthétiques profonds grâce aux jésuites, principes qu’il appliqua éventuellement dans son art et qui firent de lui un des premiers artistes créateurs de la modernité franco-manitobaine, avec Roger Léveillé, Paul Savoie, Daniel Lavoie et quelques autres.

Bien qu’il ait réalisé des œuvres majeures un peu partout au Canada et même à l’étranger (on lui doit, par exemple, l’ambassade canadienne à Mexico), c’est à Saint-Boniface qu’on trouve la plus grande concentration de ses œuvres. On y retrouve des œuvres majeures comme la Monnaie royale et le bureau régional de l’Agence de revenu du Canada et plus récemment l’Esplanade Riel, œuvre iconographique qui définit maintenant le centre-ville de Winnipeg. Mais bien d’autres œuvres de Gaboury définissent le paysage urbain du vieux Saint-Boniface, notamment la cathédrale, le presbytère de la paroisse, le Chez-Nous…et surtout, le poste de police et l’ancienne unité sanitaire, maintenant occupée par le Festival du Voyageur.

Ces deux édifices ensemble ont été conçu à l’origine comme deux parties d’une trilogie dont l’axe principal aurait été un nouvel hôtel de ville qui aurait remplacé celui qui existe toujours sur le même site, site qui abrite maintenant aussi le Jardin des sculptures, formant un tout harmonieux d’art et d’architecture ancienne et moderne.

Alors ce serait criminel de démolir le poste de police ne serait-ce qu’en raison du fait qu’il s’agisse d’une œuvre majeure d’un des plus grands artistes Canadiens et artiste franco-manitobain en plus. Mais il y a aussi une deuxième raison : c’est le fait que le poste de police et l’ancienne unité sont parmi la demi-douzaine d’édifices qui méritent la désignation d’ « historiques » à Saint-Boniface, avec le bureau de poste, l’ancien hôtel de ville, la résidence Langevin et l’Université de Saint-Boniface. Ces édifices constituent une partie importante de notre patrimoine physique, et je dirais même de notre identité même, ancienne et moderne.

Il est à espérer qu’une coalition d’organismes se mobilisera, comme on l’a vu autour du bureau de poste, peut-être avec notre conseiller Daniel Vandal en tête, pour trouver une façon de sauver cet édifice; après tout, on a bien trouvé une façon de « recycler » l’unité sanitaire; ne peut-on pas faire la même chose avec le poste de police?

Enfin, la ville de Winnipeg elle-même doit se poser la question à savoir si elle n’a pas un devoir de fiducie envers les œuvres d’art qu’elle a commanditées au cours des années et de voir à ce que de telles œuvres ne se perdent pas avec le temps.