Éditorial par Jean-Pierre Dubé

LA LIBERTÉ DU 5 AU 11 DÉCEMBRE 2012

Il est notoire que le rural manitobain a comme d’autres été marqué par des tensions sociales entre villages. Ces rivalités ont trouvé leur plus simple expression au cours de parties de hockey survoltées : notamment La Broquerie contre Sainte-Anne-des-Chênes, Saint-Malo contre Saint-Pierre-Jolys. L’honneur était en jeu.

C’est ainsi que les hostilités récurrentes entre guerriers sur lames de patins, comme Jean-Guy Tétrault des Habs et Maurice Chaput des As, sont entrés dans la légende.

Depuis, les tiraillements entre villages ont évolué vers le positionnement économique. Mais ils pourraient encore compliquer la démarche pour réduire de moitié pour 2014 le nombre de municipalités au Manitoba.

L’initiative gouvernementale ressemble à celle de l’amalgamation scolaire en 2000. La Province avait encouragé les divisions à fusionner; deux ans plus tard, devant la résistance générale, elle les avait contraintes.

Les motifs sont les mêmes : réaliser des économies d’échelle en réduisant le nombre de gouvernants et d’administrateurs. Et qu’est-ce que ça donne? Selon une étude, les dépenses éducatives l’année suivant l’amalgamation de 2003 avaient augmenté de 7 %. L’étude n’a toutefois pas mesuré l’impact sur la qualité de l’éducation ni sur l’égalité des chances.

Lors de la fondation du Manitoba, on avait créé 24 petits districts scolaires. Ce nombre a augmenté jusqu’à 2 000 petits en 1950. On a comprimé l’ensemble à 54 divisions scolaires dans les années 60. Il y a dix ans, leur nombre est passé à 37, dont la Louis-Riel, fusionnant Saint-Boniface et Saint-Vital. La Division scolaire franco-manitobaine (DSFM) avait entre-temps démarré en 1994.

Les fusions municipales sont donc attendues. La Province a demandé aux unités de moins d’un millier de citoyens de convoler. Or, la moitié des 198 actuelles seraient en dessous du seuil. Elles manquent souvent d’expertise pour se conformer aux nouvelles normes en matière d’éthique et de reddition de comptes. Quatre municipalités urbaines ayant un statut bilingue sont menacées et s’inquiètent de leur avenir.

La plus petite, Saint-Lazare, fondée en 1949, compte moins de 300 résidants. Elle partage déjà ses ressources humaines, financières et matérielles avec la Municipalité rurale d’Ellice, membre aussi de l’Association des municipalités bilingues du Manitoba (AMBM). Le défi, c’est qu’ensemble elles n’atteignent pas le millier. Devra-t-on demander une exemption à la Province?

Les trois autres sont partagées entre deux municipalités rurales. Avec ses 430 habitants, la Municipalité de Somerset, établie en 1962, se situe dans la rurale de Lorne. Tout comme Notre-Dame-de-Lourdes avec ses 600 citoyens, érigée en municipalité en 1963. Incorporée en 1963, Saint-Claude compte moins de 600 personnes et se trouve dans la Grey voisine.

Le repli et la lutte pour le statu quo peuvent-ils se remplacer par un réflexe d’expansion? Peut-on songer à une espèce de couloir qui réunirait les communautés des régions désignées aux fins de la Politique sur les services en langue française? Sauf Saint-Lazare et Saint-Laurent, les 17 membres de l’AMBM sont en pleine croissance.

L’espace bilingue semble grandir. Les écoles françaises sont regroupées et les caisses populaires ont fusionné. Le Conseil communauté en santé, le Conseil de développement économique, les organismes culturels, l’Université de Saint-Boniface, l’Agence bilingue d’échanges commerciaux du Manitoba et le World Trade Centre de Winnipeg sont en réseaux. Est-ce qu’on peut faire plus avec les gouvernements locaux?

Dans le fond, il s’agira de voir quelle vision à long terme du ‘village’ sera mise de l’avant par les municipalités bilingues. Et quelle ouverture on trouvera au sein de l’administration Selinger.

Que sont devenus nos guerriers ruraux? Ayant modéré leurs transports et déposé leurs armes, ils ont travaillé côte à côte au sein du Secteur du transport et de l’entretien de la DSFM. C’est pour dire que tout est possible.