Éditorial par Jean-Pierre Dubé

LA LIBERTÉ DU 12 AU 18 DÉCEMBRE 2012

Quelque 150 couples ont payé 100 $ chacun pour participer au Souper de relance de La Liberté, le 29 octobre 1971, au Northstar Inn, de Winnipeg. Une nouvelle époque commençait avec le transfert du journal de pères oblats à l’entreprise Presse-Ouest, propriété de la Société franco-manitobaine. La première édition de l’hebdo en format tabloïde venait de paraître.

Ce changement venait s’ajouter aux bouleversements de la fin des années 1960 au Manitoba français, mettant un terme à des décennies de censure médiatique. Sous la direction de Gérald Dorge et la rédaction d’Arthur Dupuis, le journal avait toutefois des défis de taille. Quel accueil serait réservé à un journal visant la liberté d’expression? Les lecteurs allaient-ils continuer de s’abonner et les entreprises continuer d’annoncer?

Le journal n’est pas devenu libre du jour au lendemain. Il n’y avait pas de tradition ni d’expertise journalistiques sur lesquelles se fonder localement. Une salle de rédaction a été mise sur pied avec l’aide d’un oblat très respecté, Jean-Paul Aubry, pour assurer la transition. Et au fil des ans, des journalistes d’ailleurs ont été mandatés d’assurer la publication tout en formant des apprentis.

Quelques années plus tard, c’était au tour de Radio-Canada de créer une salle de nouvelles à Winnipeg, pour CKSB et CBWFT. Il a fallu compter sur des experts du Québec pour la formation des Maurice Auger, Jean Hébert, Michel Boucher, Ronald Lavallée et autres à l’accent local.

C’est ainsi que la presse écrite et électronique francophone du Manitoba a été construite sur la pluralité, condition essentielle à son rôle d’informer avec impartialité et d’observer de manière critique. La capacité d’écrire en français, la curiosité et la passion ne faisaient pas défaut.

Le paysage médiatique s’est grandement enrichi depuis 1971, avec l’ajout du projet de développement Actions Médias avec son journal des écoles secondaires, L’Érudit, du journal des universitaires, Le Réveil, la radio communautaire Envol 91 et la maison Les Productions Rivard. Comme La Liberté et la SRC, tous offrent des informations sur le Web. Mais de nombreux défis demeurent.

De toutes parts, on constate que la qualité de l’écriture s’est érodée chez nous, comme ailleurs en milieu minoritaire. Les francophones ont perdu la confiance de s’exprimer en français simplement parce que la plupart ont l’anglais comme langue première. A-t-on raison de se stigmatiser sur ce rapport? N’est-ce pas simplement l’effet sur plusieurs générations de prédominance anglophone?

Il reste que les francophones d’ici s’intéressent peu au journalisme. Et pourtant, n’en faut-il pas pour assurer la continuité? Car il existe un problème de roulement. Bien des apprentis de La Liberté quittent pour Radio-Canada, souvent à cause du salaire. Ils se joignent à la cohorte des jeunes Québécois qui trouvent via les régions un accès à la société d’État dans leur province.

Ce roulement transforme nos médias francophones en écoles de formation et les maintient en mode de recrutement, compromettant ainsi la qualité et la crédibilité. Non seulement faut-il connaître le métier : un minimum de connaissances du milieu s’impose. Presse qui roule amasse bien des mousses, mais il faudrait davantage de rétention pour que la profession se donne la profondeur nécessaire.

Construire un bassin d’expertise durable, c’est bien ce que se propose de réaliser l’Université de Saint-Boniface avec un bac en journalisme et en communications. Le projet sera développé en 2013 et son avenir dépendra des priorités de financement provincial. Ce projet est essentiel et mérite tous les appuis. L’enjeu n’est pas seulement la santé des médias, mais celle de la société.

Il n’y a pas de sot métier. Des passionnés et curieux, capables d’écrire et de poser un regard critique sur la société, il doit y en avoir. Trouvons-les.