Éditorial par Jean-Pierre Dubé

LA LIBERTÉ DU 30 JANVIER AU 5 FÉVRIER 2013

Où était John Zabudney en 2004 quand Winnipeg acceptait d’établir un fastfood sur la nouvelle Esplanade Riel, semant la controverse pendant des mois?

Le gestionnaire des propriétés immobilières de la Ville n’a-t-il pas noté la réaction des citoyens? Au moment où la ville se donnait une nouvelle image, on avait déploré l’expression ultime de la vision urbaine du maire Sam Katz : le “nip” de hachis dans une brioche Mac Do!

N’a-t-il pas vu que de stratégiques administrateurs avaient acquis il y a 30 ans les terrains vagues du Canadien National à la Fourche pour en faire un parc, un lieu de rencontre et un marché communautaire? Qu’on avait nettoyé les rives et bâti des quais, rénové l’hôtel Fort Garry et construit dans le coin un stade de baseball professionnel? Que le pont Provencher s’était redressé entre Winnipeg et Saint-Boniface dans sa nouvelle armature? Que le French Quarter se pomponnait comme une fiancée? Qu’une esplanade spectaculaire nommée Riel enjambant la Rouge, conçue par l’architecte Étienne Gaboury, devenait le focus de l’iconographie manitobaine? Qu’un musée des droits de la personne était en gestation tout près?

N’a-t-il pas vu que pour les populations fondatrices et les nouveaux arrivants, ces développements avaient une grande valeur symbolique? Qu’un Salisbury House choisi arbitrairement pour couronner ce pont piétonnier ressemblait à jeter un cochon aux perles?

Pourquoi Winnipeg a-t-elle favorisé l’offre de Salisbury House à l’époque? Et pourquoi cette précipitation aujourd’hui à régler le sort de ce bijou d’espace commercial en plein cœur de l’action? Le délai de quelques semaines est nettement insuffisant même pour l’expression d’intérêt. Où sont passés les bureaucrates qui se trainent les pieds quand on en a besoin?

On sait que ce n’est pas le gestionnaire des propriétés qui prend les décisions. Le tirage de ficelles vient du Conseil municipal. Est-ce que l’Hôtel de Ville veut encore court-circuiter la volonté populaire – nip it in the bud, comme on dit? Le maire a-t-il encore sa petite idée? Ça expliquerait l’économie du processus.

L’échéance du 31 janvier doit être reculée. S’il y a urgence, ce n’est pas tant de décider quoi faire, mais de savoir comment on va s’y prendre pour décider quoi faire. Quelle est la démarche formelle prévue par l’administration et quel rôle sera réservé au public?

Il n’est pas acceptable d’affirmer, comme l’a fait John Zabudney, que l’on « tiendra compte des suggestions de Daniel Vandal (le conseiller municipal) parce qu’il connaît bien les opinions des Bonifaciens ». C’est un signal que la décision pourrait encore être prise de façon discrétionnaire.

L’évaluation de l’expérience avec Salisbury House peut-elle être menée ouvertement? Pourquoi l’entreprise n’entrait-elle pas dans ses frais? Quel est le niveau d’achalandage de l’Esplanade : qui l’emprunte, à quels moments et pourquoi? Les développements dans l’environnement immédiat fournissent-ils une direction quelconque?

Comme communauté francophone, essayons de ne pas se placer dans le champ de tir comme en 2005 en polarisant toute la province avec une bataille linguistique. On a compris que les services en français n’étaient pas on the House. Mais voyons comment les mentalités ont changé. La nécessité d’accueillir dans les deux langues est peut-être un réflexe sur les deux rives.

L’Esplanade a levé la barre symbolique par sa vision esthétique et communautaire du centre de Winnipeg. Le Musée adjacent fait monter la barre des convergences encore davantage en éveillant le Manitoba à une conscience universelle. Ça pourrait inspirer.