Éditorial par Jean-Pierre Dubé
LA LIBERTÉ DU 13 AU 19 MARS 2013
Quand le premier ministre du Manitoba a lancé sans crier gare la plaque d’immatriculation bilingue, il a choisi un moment et un lieu symboliques. C’était dans son comté de Saint-Boniface en plein Festival du Voyageur avec ses 100 000 visiteurs accueillis chaque année pour se faire divertir et raconter de belles histoires.
Certains ont pensé qu’il y avait anguille sous roche et que Greg Selinger voulait vérifier la température de l’eau avec le gros orteil. A-t-il l’intention d’abuser de sa majorité sur Broadway pour imposer du français dans cette Province – soit dit en passant – toujours en violation de sa loi constitutive? Mais pas de morsure dans la réaction, seulement quelques coups de queue de castor pour faire peur.
La “bienvenue” a bien tenu le coup, mais le qualificatif Friendly Manitoba a pris une claque. Rien de sérieux comparativement à l’ancienne plaque, celle des 100 000 Lakes qui ont récemment été réduits à trois sous protection fédérale (Winnipeg, Manitoba et Winnipegosis), avec l’adoption de l’omnibus C-45.
Des centaines de rivières ont aussi disparu de la liste, comme la Seine avec son “Bois des esprits”. Un nouvel organisme va œuvrer à sa protection, R-Park, réunissant Sauvons notre Seine, OURS Winnipeg et l’Union nationale métisse de Saint-Joseph. Il reste trois rivières protégées : l’Assiniboine, la Winnipeg et la Rouge, celle que Saint-Boniface s’apprête à franchir comme d’autres le Rubicon ou le Delaware.
La Ville de Winnipeg a confirmé le 4 mars – ô miracle! – le choix du resto bonifacien Chez Sophie pour occuper l’unique espace commercial de l’Esplanade Riel. En 2004, au lieu de construire des ponts, le maire avait coupé le bébé en deux. En choisissant une chaîne de fastfood, Sam Katz s’était non seulement aliéné Saint-Boniface, mais aussi tout Winnipeg qui avait œuvré pendant 20 ans pour transformer La Fourche en lieu de convergence d’envergure.
Sophie City! La nouvelle a fait vibrer les deux rives, si l’on en juge par la réaction twittosphérique. Le courant est rétabli. Le bistro ouvrira ce 2e établissement sur l’Esplanade ce printemps avec une terrasse, un menu semblable et quatre fois plus de places et de personnel. Tout un défi.
Mais les Alsaciens Stéphane et Sophie Wild n’ont pas peur de l’eau. Ils ont d’abord franchi l’Atlantique et aménagé, avenue de la Cathédrale, une table simple et savoureuse cotée parmi les meilleures de la capitale. Juste pour l’exquise tartiflette, gratinée au trappiste, le voyage s’impose de n’importe où sur la planète. Alors, pourquoi ne pas écarter les eaux et franchir la Rouge à pied?
Pour Saint-Boniface, il s’agit d’une invitation de Winnipeg qui demande, par les tripes, une réponse dans l’enthousiasme et la dignité. Pas de politique. Pas d’anguille, sauf peut-être dans l’assiette.
Quelque chose a été corrigée, un espace s’ouvre. L’eau à la bouche, on peut avoir le goût de chanter, comme Michel Rivard :
Je voulais juste trouver la place
Que tout le monde finit par se trouver
Et si t’as le goût de me voir
Je te raconterai des belles histoires…