Éditorial par Jean-Pierre Dubé

 LA LIBERTÉ DU 20 AU 26 MARS 2013

« La plus grande machine d’extorsion de haut niveau de l’histoire du Canada ». C’est ainsi qu’ont été qualifiées les trouvailles faites en 1881 par une commission provinciale chargée d’examiner le scandale de la répartition des terres métisses, prévue dans l’Acte du Manitoba.

L’extorsion est une forme violente d’appropriation frauduleuse des biens d’autrui. Les coupables étaient des fonctionnaires, des avocats et la famille du juge en chef du Manitoba. Les victimes étaient les familles métisses pour qui l’abbé Noël Ritchot avait négocié l’octroi de 1,4 million d’acres pour leur permettre de rester chez eux.

Ce groupe majoritaire avait pleinement conscience de vivre comme une nation de personnes libres, non assujetties aux coutumes autochtones ni aux lois commerciales. La nation a exercé une gouvernance de facto sur un territoire pendant un demi-siècle et de jure provisoirement, le temps de créer une province. Les familles avaient droit aux terres.

Mais le rapport de la commission, entre autres sur la lenteur du processus d’arpentage, a été ignoré et suivi par des lois manitobaines légitimant la dépossession, sous l’œil indifférent du fédéral. Les nouveaux arrivants de l’Ontario ont d’abord été servis. Sur les 7 000 Métis visés, mille n’ont rien reçu et des milliers d’autres ont vendu à rabais ou déguerpi vers le Nord-Ouest pour échapper à la persécution. Ni vus ni connus. C’est ainsi qu’a débuté la diaspora de la seule nation métisse de l’Amérique.

Après un centenaire de honte puis 30 ans devant les tribunaux, les Métis ont obtenu gain de cause. La Cour suprême du Canada a statué le 8 mars que le fédéral avait failli dans la répartition des titres, souillant ainsi l’honneur de la Couronne. Cette poursuite étant la pierre angulaire de ses revendications, la victorieuse Manitoba Métis Federation (MMF) se prépare à négocier avec Ottawa et Winnipeg les conséquences du jugement.

Quelle forme prendra la réparation? Les Métis s’embourberont-ils dans les dédales judiciaires ou obtiendront-ils rapidement de nouveaux programmes? On se souviendra des 20 années de l’ère juridique franco-manitobaine menant à la négociation houleuse de services sans règlement de la question constitutionnelle. La lenteur demeure un déni de justice.

L’Alberta a choisi de ne pas attendre les tribunaux pour remplir ses obligations envers les Métis. Le gouvernement a annoncé le 13 mars une entente de 85 millions $ en dix ans pour rehausser les infrastructures dans les huit municipalités métisses fondées au siècle dernier. Que fera le Manitoba?

Le fédéral va-t-il s’excuser formellement et se montrer proactif? La réconciliation des Métis avec la Couronne n’est pas acquise, compte tenu des pratiques courantes. Ottawa refuse notamment de s’engager davantage dans les services d’aide à l’enfance autochtone et vient de subir le 11 mars un revers devant la Cour fédérale d’appel. Des milliards sont en jeu.

La Cour a rejeté les arguments fédéraux et ordonné au Tribunal canadien des droits de la personne d’entendre la plainte de l’Assemblée des Premières nations. Où est l’honneur quand la Couronne dépense des dizaines de millions $ en frais juridiques pour se dispenser d’accorder aux nations fondatrices des bénéfices offerts à toute la population?

La garderie pour les uns; la prison pour les autres. La part d’autochtones en détention aurait augmenté de 43 % depuis cinq ans.

Ottawa va encore user de lenteur et tenter de se faufiler en évoquant l’état des finances publiques. Le citoyen peut partager cette inquiétude, surtout quand il entend des chefs métis promettre aux membres qu’ils auront bientôt tout ce qu’ils désirent. Avec 600 employés et des milliers de membres, la MMF tient le gros bout du bâton.

What do the Métis want? La question se pose aussi à l’Union nationale métisse de Saint-Joseph du Manitoba. Quelle place va-t-elle occuper à la table? Cette histoire de terres ne repose-t-elle pas la contribution unique du noyau des 400 familles d’origine parlant français?

Leur nom doit être vu et connu. Leur mémoire doit planer sur les terres promises.