La papauté de l’Église catholique a évolué à un rythme vertigineux ces dernières semaines. D’abord, une tradition vieille de 600 ans a été rompue avec la démission soudaine et inattendue du pape Benoît XVI le 11 février 2013. Ensuite, les cardinaux ont rompu deux autres traditions dans leur choix du nouveau pape. D’abord, les cardinaux ont élu un pape à l’extérieur de l’Europe, du jamais vu depuis plus de mille ans, en la personne de Jorge Mario Bergoglio d’Argentine; ensuite, en cette même personne, ils ont choisi le premier jésuite qui ait jamais été élu à ce poste depuis la fondation de la Société de Jésus il y a près de 500 ans. Enfin, le pape François, en quelques jours seulement, a déjà démontré un style ouvert et une affinité avec le peuple, catholique et autre, qui rappelle le bien-aimé Pape Jean XXIII, initiateur du Concile Vatican II au début des années 1960. Même en choisissant le nom de François, le nouveau pape a tracé une nouvelle voie, puisque ce nom n’avait jamais été choisi auparavant par les 265 papes qui l’ont précédé. Tant de changement et d’innovation en si peu de temps dans une institution connue avant tout pour son immuabilité fait tourner la tête à bien des catholiques! Certains rêvent même de réformes substantives…

Soyons réalistes. Sur les questions de doctrines fondamentales, l’Église ne changera jamais. Impossible, par exemple, d’envisager une Église qui accepterait l’homosexualité comme un comportement humain « normal », c’est-à-dire qui ne serait pas entaché de péché. Impossible d’imaginer une Église qui accepterait l’avortement, ou encore l’euthanasie, puisque les deux portent atteinte directement à la vie humaine, qui est sacrée. (On aurait pu s’attendre à des prises de position plus vigoureuses et constantes de la part de l’Église contre la peine capitale, notamment aux États-Unis, au nom du même principe, mais enfin…)

Cela dit, il faut souligner que l’Église a déjà démontré qu’elle pouvait accepter le changement dans certains domaines. Les gens d’un certain âge se souviendront du « poisson le vendredi », puisque la consommation de la viande était interdite…par tradition. L’Église maintient son interdiction contre le divorce civil, mais a considérablement assoupli l’accès à l’annulation de mariages au sein de l’Église au cours des décennies récentes. On ne parle à peu près plus du besoin d’être « en état de grâce » avant de prendre la communion, ce qui impliquerait, pour bien des fidèles, l’obligation de se confesser avant de recevoir ce sacrement.

Les prises de position et les gestes posés par le pape François durant sa longue carrière en Argentine seront scrutés impitoyablement par les médias au cours des prochains mois. Certains ont déjà souligné que le nouveau pape, en tant que provincial jésuite, aurait livré deux des siens à la dictature argentine (1976-1983), accusations vigoureusement dénoncées par le Vatican depuis son élection. Ces mêmes médias ont révélé toutefois un côté pragmatique et plus « libéral » chez lui, en soulignant que, durant le débat politique autour des mariages gais en Argentine en 2010, il avait tenté mais sans succès d’amener les évêques à accepter un compromis, à savoir l’acceptation d’unions civiles entre personnes homosexuelles.

Ce pragmatisme lui servira peut-être lorsqu’il commencera à affronter les causes profondes de la débandade dans laquelle l’Église se trouve actuellement, surtout dans les pays développés. L’une de ces causes, qui entraîna la « perte de la foi » chez un grand nombre de catholiques durant les années 1960 et après, fut la position prise par l’Église sur la contraception, et spécifiquement la Pilule. Le pape Paul VI, suite à une lutte de pouvoir entre la Curie et les Cardinaux, trancha la question en faveur de la Curie et interdit l’utilisation de la Pilule; entretemps, les mères de famille, même les plus ferventes, partout dans les pays développés, découvrirent rapidement les bienfaits de cette invention magique et l’adoptèrent, faisant fi de la position de l’Église. Une analyse plus humaniste et pragmatique plutôt que dogmatique aurait pu éviter la perte de foi chez des millions qui s’ensuivit…

Autres domaines où des changements s’imposent, et rapidement. On connaît les ravages qu’ont faits les innombrables cas d’abus sexuel d’enfants par rapport à la réputation de l’Église et de ses prêtres. Des coûts humains et financiers énormes (les vies détruites par ces comportements de certains prêtres, plus de 2 milliards $ en compensation aux victimes au États-Unis) en ont découlé. Il me semble que les prêtres, tout comme les laïcs, ont droit à une vie émotive et sexuelle normale, c’est-à-dire d’avoir une compagne de vie s’ils le désirent. Et dans ce contexte, rappelons que ce n’est qu’en 1123, donc il y a moins de 900 ans, que l’Église a imposé la règle du célibat. Ne serait-il pas le temps de réexaminer cette règle dans le contexte contemporain? Et pourquoi pas, en même, réexaminer la question de l’ordination des femmes (interdite il y a beaucoup plus longtemps, en 352), ou encore le diaconat des femmes?

En ce qui a trait à la pédophilie, la question est beaucoup plus facile à trancher : ce sont des actes criminels, tout simplement, et le pape François pourrait déclarer que dorénavant, dans tout cas d’allégations de tels crimes, les autorités épiscopales vont en informer les autorités policières civiles.

Voilà donc un bref agenda de réformes qui n’impliquent pas de changements dogmatiques majeurs, seulement une remise en question de certaines traditions…à l’heure où plusieurs anciennes viennent de s’effondrer!