Éditorial par Jean-Pierre Dubé

 LA LIBERTÉ DU 19 AU 25 JUIN 2013

 
En se réveillant, l’homme prit conscience que ce qu’il croyait vrai n’était que des lambeaux de rêve. Quand il senti le premier frémissement matinal de sa compagne, il dit : J’ai encore fait ce rêve. Celui que tu fais depuis longtemps? Le même.

Il marche dans une forêt dense, une nuit sans lune, dans une détresse insupportable, avec l’impression de tourner en rond.

Ce n’était plus un cauchemar. Comment le sais-tu? Par ta voix.

À la fin du rêve, chaque fois depuis son enfance, il y a un son de cloche, un seul, si las et bas qu’il a chaque fois le sens d’entendre le dernier battement de son cœur. Et il reste cloué sur place, les pieds comme enfoncés dans la terre, avec tout le sang de son corps lui montant au sommet du crâne. Et c’est ainsi qu’il se réveille, déchiré, la proie d’une angoisse sans fond. Ses gémissements réveillent sa femme, elle reconnaît le rêve et se colle à lui pour l’apaiser.

Cette fois, la cloche avait un son clair. C’est tout? Elle a sonné plusieurs fois : tu ne l’as pas entendue? Comment veux-tu?

Quand il se rendit à sa réunion de section métisse, on lui expliqua que le trophée de guerre des orangistes, choppé dans l’église de Batoche en 1885 par des soldats de l’Ontario, avait été rapporté secrètement au Manitoba. La cloche fêlée avait été réparée et on cherchait l’occasion de la remettre en fonction.

Mais quelle fonction?

La cloche avait suivi le mouvement du pouvoir. Batoche et les Métis vaincus, elle avait été emprisonnée dans une caserne de pompiers puis enchâssée dans une vitrine de club pour vétérans où on pouvait lui cracher dessus alors qu’ailleurs, ce qu’elle représentait faisait couler d’amères larmes.

Mais le vent avait changé tranquillement et les Métis avaient émergé de l’underground sans faire de bruit. Un couple de voyageurs d’époque est sorti dans la rue, puis un festival a été lancé, des histoires racontées et un lieutenant-gouverneur nommé.

En 1991, Yvon Dumont est allé visiter la cloche de Batoche à Millbrook, en Ontario. Curieusement, elle était volée une semaine plus tard et disparût dans le Manitoba profond.

On peut remonter une horloge, mais une cloche? Elle est de retour parce que la tribu est de retour. On est en plein siècle des Métis, avec les jugements des tribunaux qui suivent le réveil des fondateurs de la province et leur reprise de conscience identitaire. Que vont-ils faire de leur place retrouvée?

La cloche n’est pas une fin, mais un instrument de ralliement. Ne restons pas à nous extasier devant l’objet. Il est le signe d’un destin qui est en train de se façonner. C’est le moment de rêver l’avenir.