La Liberté ÉDITO

Par Jean-Pierre Dubé

@jeanpierre_dube

La Liberté du 3  juillet 2013

Elle avait les cheveux d’un blond roux. Durant la nuit précédant sa montée à l’échafaud, ses cheveux auraient complètement blanchi. La reine de France guillotinée le 16 octobre 1793 selon le jugement du Tribunal révolutionnaire a été inhumée la tête entre les jambes dans une fosse commune. En 1815, ses restes et ceux de Louis XVI furent exhumés et transportés à la basilique de Saint-Denis, près de Paris.

Quel étrange destin l’évêque du temps avait-il pressenti en nommant Marie-Antoinette la modeste cloche de Batoche récemment exhumée? Originaire d’Espagne, elle a dominé du haut de ses 30 cm la petite église avant d’être volée et cachée en Ontario, récupérée et enterrée au Québec puis escortée au Manitoba après une opération délicate. Qu’est-ce qui l’attend après sa sortie publique lors d’un rassemblement métis en Saskatchewan le 20 juillet?

L’évêque actuel de Prince-Albert a proposé une intention : la cloche serait porteuse de réconciliation entre les Métis et l’église diocésaine. En effet, après 1885, le clergé avait refusé les sacrements aux Métis ayant adhéré aux prétentions prophétiques du chef Louis Riel et participé à la résistance de Batoche. Mais ce malentendu n’est-il pas réglé depuis longtemps?

Les récupérateurs de la cloche ne voulaient pas que la Manitoba Metis Federation s’en empare. Car elle aurait servi à gonfler davantage l’empire du président David Chartrand.

La meilleure piste a été formulée par les descendants des voleurs de Millbrook, en répondant invariablement aux Métis qui leur avaient demandé de rendre la Marie-Antoinette : « You tried to break the country and we stopped you. We got the Bell! »

Mais qui a essayé de détruire le pays?

Le mouvement fondateur du Manitoba était rassembleur. Les Métis ont incarné la conciliation des grandes divisions de l’époque : anglophone et francophone, catholique et protestant, blanc et Autochtone. C’est dans l’Est que les ultranationalistes se déchiraient.

Les soldats ontariens en route pour Batoche savaient que le chef de la résistance était le même Autochtone catholique et francophone qui avait conduit un anglophone blanc et protestant devant un peloton d’exécution. Leur mission était de venger la mort de Thomas Scott, accusé d’insubordination et condamné par le tribunal du Gouvernement provisoire en 1870.

Le Bas-Canada avait fêté l’évènement à la Rivière-Rouge tandis que le Haut-Canada promettait une vengeance sans équivoque. Les jours de Riel étaient désormais comptés. Condamné pour haute trahison, il était pendu le 16 novembre 1885, plongeant Montréal en deuil tandis que Toronto célébrait. Affaire classée?

Le double meurtre commis dans l’Ouest constitue la narration la plus dramatique du Canada. Il explique en partie la gravité du sort réservé aux Premières nations et le sentiment des Canadiens de langue française de ne pas avoir de place. D’autres crimes ont suivi : la persécution des francophones, le génocide autochtone et les assassinats du Front de libération du Québec. Il empoisonne encore les relations sociales et politiques.

Comment une si petite cloche pourrait-elle construire quelque chose sur d’aussi grands maux?

Quelle intention avaient les ‘voleurs’ en 1991? Ils n’enduraient simplement pas que des orangistes gardent la cloche. Pourquoi la livrer maintenant et à l’Union nationale métisse alors qu’une amnistie et de l’argent avaient été offerts? Parce que le regroupement original des Métis serait apolitique et intègre, parce qu’on a confiance qu’il trouvera un lieu approprié pour la cloche. Et parce que c’est le bon moment.

Il est question d’une niche sécuritaire au Musée de Saint-Boniface. Mais est-ce une fin acceptable pour une cloche qui génère tant de bruit avant même d’être vue et entendue? Pourquoi réduire au silence celle qui retrouve sa voix?

Le son d’une cloche est un appel au rassemblement. Dans l’ordre des choses, les appelés se déplacent et non la cloche. Cette Marie-Antoinette a assez voyagé. Elle devrait régner en permanence sur un lieu hautement symbolique de la réconciliation du pays.

Laissons sonner la cloche entourée de vie et de lumière.