La Liberté ÉDITO

Par Jean-Pierre Dubé

@jeanpierre_dube

La Liberté du 14 août 2013

« Le CRTC refuse à Sun News le droit de faire partie du forfait de base en télédistribution ». Telle était la manchette de Radio-Canada du 8 août sur les décisions du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes. L’arrivée très attendue d’une nouvelle télé francophone parmi les chaînes distribuées obligatoirement n’est mentionnée qu’à la fin du reportage sur les revers de la télé d’extrême-droite.

La mission de Radio-Canada consiste à « rendre compte de la diversité régionale au pays, tant au plan national qu’au niveau régional, tout en répondant aux besoins particuliers des régions » et à « refléter la situation et les besoins particuliers des deux collectivités de langue officielle, y compris ceux des minorités de l’une ou l’autre langue ». Quant à la nouvelle UNIS, la 2e chaîne de l’entreprise mondiale TV5, son mandat sera de produire et de diffuser des contenus provenant de l’ensemble des régions francophones. Les deux vont-ils se battre pour nous servir?

La nouvelle chaîne assumera le rôle régional que la télé de Radio-Canada a progressivement abandonné en faveur des lucratives cotes d’écoute montréalaises. Elle couvrira non seulement les communautés francophones du Canada mais aussi les régions québécoises hors Montréal. Le CRTC veut combler ce double besoin, même si telle n’était pas l’intention originale.

Il avait reconnu « la nécessité d’un service de programmation en langue française consacré aux communautés de langue officielle en situation minoritaire… Le Conseil a conclu qu’un tel service favoriserait la représentation des communautés et la visibilité des producteurs canadiens (…) et qu’il contribuerait à la promotion des artistes de ces communautés en permettant aux producteurs canadiens de langue française de trouver leur place dans le système de radiodiffusion ».

Les communautés francophones avaient donc lancé le projet ACCENTS, que le CRTC a rejeté en raison de lacunes du plan d’affaires. La proposition de la Fondation canadienne pour le dialogue des cultures a surtout souffert des tensions au sein même des communautés.

Le CRTC a conclu que UNIS répondra aux besoins du million de francophones hors Québec et de quatre millions de Québécois hors Montréal. La belle province constitue un créneau commercial d’envergure. TV5 parle d’un « pont entre les francophones en situation minoritaire et les francophones du Québec : ils pourront se voir et se parler comme jamais auparavant ». Mais est-ce qu’on leur a demandé leur opinion sur ce pontage?

Le Canada français a perdu définitivement son homogénéité : il y a maintenant autant de solitudes que de provinces. Comment UNIS va-t-elle réussir là où la SRC a échoué et unir ce que les nationalistes, les communautés et les médias ont séparé au cours du siècle dernier? Avec un comité consultatif national et des bureaux régionaux, tout comme la SRC?

La nouvelle télé s’engage à diffuser 75 % de contenu d’origine canadienne. Elle promet de consacrer d’ici cinq ans 60 % de sa programmation à des productions hors Montréal, dont 60 % à des productions hors Québec. Ça fait combien d’eau dans le vin?

Mais par rapport à ce qu’accomplit la télé d’État présentement, il s’agit d’un énorme progrès. D’autant plus que UNIS ne présentera pas de nouvelles ni de couverture sportive, mais des documentaires, dramatiques et variétés, ainsi que du cinéma et des émissions pour enfants. Ses activités seront donc complémentaires à celles de la SRC.

Les communautés francophones se rallient donc à la décision du CRTC et se préparent dans l’enthousiasme à collaborer avec UNIS. Le Manitoba a invité TV5 à établir un bureau régional à Winnipeg et ses producteurs attendent les appels de projets qui afflueront prochainement.

Est-ce qu’un nouveau chapitre s’annonce pour la télé de langue française au Canada? Cela dépend du succès que connaîtra UNIS dans les régions à construire la capacité des professionnels en télévision et à investir dans les infrastructures de production. On en fera le bilan lors des audiences du CRTC en 2018.