La Liberté ÉDITO

Par Jean-Pierre Dubé

@jeanpierre_dube

La Liberté du 28 août 2013

Il y avait une touche de surréalisme dans les reportages du 23 août sur la publication d’un rapport sénatorial concernant la sécurité du transport d’hydrocarbures au Canada. « Le Sénat veut serrer la vis aux transporteurs » titrait un quotidien. En conférence de presse, des sénateurs blafards du Comité de l’énergie semblaient porter l’auréole des irréprochables. Ils ont généré autant d’étonnement que de questions.

Pourquoi la Chambre haute est-elle ouverte alors que la basse est fermée? Les 105 sénateurs ne sont-ils pas sous audit? Qui a demandé leur avis? Pourquoi leur accorde-t-on encore une tribune? Comment ont-ils pu produire si rapidement un rapport incluant la tragédie à Lac-Mégantic?

Et des recommandations aussi géniales que radicales : réviser les normes et pratiques sur le transport de produits dangereux; imposer des seuils minimum pour la couverture d’assurance responsabilité des transporteurs; et retirer les wagons-citernes utilisés pour le pétrole brut qui risquent de s’éventrer en transit.

N’est-il pas tout aussi dangereux qu’un sénateur s’éventre en transit entre la capitale et sa résidence? Mais la plupart ne prennent pas le train : Mike Duffy se déplace peu, Raymond Lavigne demeure derrière les barreaux, Patrick Brazeau attend chez lui son procès pour agression, Pierre-Hugues Boisvenu couche dans une alcôve au Parlement et Marjory LeBreton contemple sa retraite après avoir été écartée de son poste de Leader du gouvernement au Sénat.

De plus, cinq sièges sont vacants, trois seront libérés prochainement pour la retraite et plein d’autres sont bien réchauffés. Le pire qui peut arriver, c’est d’être coincé dans le ciel des Plaines en classe économique entre Pamela Wallin et Mac Harb cherchant malgré l’omniprésence policière à emprunter de l’argent pour payer leurs dettes.

Le Sénat est sur la voie rapide de l’autodestruction. Est-ce un avantage ou un obstacle à sa réforme? Stephen Harper en parle beaucoup mais il n’a pas encore agi sur cette promesse électorale remontant aux origines du Parti conservateur : une Chambre haute avec des membres élus aux mandats limités. Quel est le plan du grand aiguilleur?

Le premier ministre se lave les mains dès que ça se met à chauffer. Il n’a pas défendu son chef de cabinet Nigel Wright pour sa générosité envers Mike Duffy. Il n’est pas pressé de remplacer Marjory LeBreton au Conseil des ministres. Ni d’enclencher la procédure pour combler les sièges vacants au Sénat. Il n’avancera pas sans l’avis demandé à la Cour suprême sur l’autonomie du Parlement en matière de réforme sénatoriale.

Le Sénat déraille? Laissons-le rouler en neutre et sans freins sur la bretelle jusqu’au gouffre.

En juillet, Stephen Harper a nommé Pierre Poilievre comme ministre d’État à la Réforme démocratique. Ce député ontarien n’est pas reconnu pour ses idées mais pour le froufrou entre les oreilles. Ses interventions reptiliennes en Chambre contrastent avec la suavité du grand ventriloque. Est-ce vraiment avec lui que le chef conservateur entend renouveler les institutions? Ce sera plutôt une continuité de l’agression des uns et de la négligence des autres.

Depuis le printemps, le chef du gouvernement s’absente autant que possible du Parlement. Il ne répond aux questions des journalistes qu’après en avoir sélectionnées quelques-unes d’avance, et surtout pas sur le scandale du Sénat. En campagne promo dans le Nord, le photogénique homme d’État annonce une 3e prorogation des Communes jusqu’en octobre. Les députés congédiés, les sénateurs discrédités, les officiers du Parlement sans cesse bâillonnés, la fonction législative est gravement hypothéquée.

Il reste l’exécutif, mais le cabinet est une troupe de marionnettes, reproduisant chaque jour le scénario élaboré par le Bureau du premier ministre. Qui va lui serrer la vis pendant que les chefs de l’Opposition discutent de marijuana?

Il n’y a pas de réforme démocratique mais usurpation. Tandis que le Parlement est marginalisé, le premier ministre prend du galon.