Manitoba Metis Federation (MMF)

La Manitoba Metis Federation (MMF) prépare une négociation en vue d’obtenir une compensation d’Ottawa pour la négligence dans l’octroi des terres promises en 1870. Six mois après le jugement historique lui donnant raison, elle a annoncé fin juillet la création du Comité stratégique d’investissement et de règlement des revendications territoriales. Mais après 140 ans de frustrations, les Métis pourront-ils obtenir un redressement?

« Il y a un processus en place pour ce genre de négociation, souligne l’historien et journaliste Lucien Chaput. Les Métis rêvent d’une nation séparée au Manitoba et j’espère qu’on va régler ça une fois pour toutes. Mais le fédéral pourrait aussi dire : on s’excuse et passons à autre chose. Il n’y a pas de gros capital de sympathie pour les Métis chez la majorité [anglophone au Canada]. »

Une récente lettre au Winnipeg Free Press d’un ancien juge manitobain renforce cette impression. Charles Huband a qualifié de money grab la demande métisse d’un remède financier. Il encourage le fédéral à « résister » aux pressions et invite les Métis à se contenter de la recon­naissance de la Cour suprême, selon laquelle « La Couronne fédérale n’a pas mis en œuvre de façon honorable la disposition prévoyant la concession de terres… »

La MMF tiendra fin septembre sa 45e assemblée annuelle sous le thème Our time has come. Dans l’invitation aux membres, le président David Chartrand rappelle son mandat : « Vous avez insisté sur notre responsabilité d’assurer aux enfants de demain le bon départ qui a été honteusement volé à nos ancêtres et de placer un règlement de nos revendications territoriales dans une fiducie pour protéger et construire un patrimoine. »

La stratégie des Métis laisse perplexe l’avocate spécialiste en droit autochtone, Me Aimée Craft. « C’est surprenant qu’ils ne font pas de revendication territoriale, étant données les garanties qui ont été faites et la valeur actuelle des terres promises. Le jugement déclaratoire est très persuasif mais il ne lie aucunement le fédéral. Si tu n’as pas demandé de réparation au tribunal, tu n’y as pas droit par la suite. » Ce seraient donc des considérations tactiques, selon elle, car de nouveaux fonds permettraient l’achat de terres au besoin.

La MMF s’est présentée devant les tribunaux avec un forte équipe juridique et la voici dans l’arène politique avec des conseillers très crédibles : son comité stratégique est composé de l’ex-premier ministre Paul Martin, des entrepreneurs Hartley Richardson, Sanford Riley et Eric Newell, ainsi que de l’avocat Harvey Sector.

« Ce sont des gros canons, commente Lucien Chaput. Ça montre qu’on est sérieux dans la négociation et qu’on a les compétences pour gérer tout ça. » Même constat du côté de l’historienne et auteure Jacqueline Blay : « La MMF est stratégique et bien organisée. Devant les tribunaux, sa recherche était très bien faite. Et pour les négociations, elle a l’appui de sa commu­nauté. Les Métis veulent reprendre là où ils ont été arrêtés comme gouvernement. »

La MMF a structuré son organisation en vue d’une autonomie gouvernementale, comme les ancêtres du 19e siècle, mais en vue de livrer elle-même des services à ses membres. Au fil des décennies, elle a progressivement obtenu des mandats provinciaux pour une autogestion partielle des domaines de santé et services sociaux, éducation, justice et logement, ainsi que d’emploi et développement économique.

Ottawa voudra-t-il négocier dans le sens souhaité? Jacqueline Blay croit que « les deux parties pourraient s’entendre sur l’économie et l’emploi. C’est la priorité des Conservateurs et exactement ce qui préoccupe les Métis à long terme. » Plusieurs structures de la MMF, dont Metis Economic Development Fund, Louis Riel Capital Corporation et Metis Generation Fund, concrétisent cette approche.

Mais il faudra être patient, souligne Lucien Chaput. « La question constitutionnelle est réglée et un nouveau rapport de forces est établi avec le fédéral. C’est la case départ : on revient aux obligations sous la Charte canadienne des droits et libertés. Mais ça va procéder très, très lentement. » Aimée Craft confirme : « L’atmosphère politique entourant les réclamations des Autochtones est plutôt frileux en ce moment. Ce n’est pas dans les priorités du gouvernement et les choses n’avancent pas. »

« On est dans le calendrier électoral du gouvernement Harper, souligne Jacqueline Blay, les Métis ne sont pas à l’ordre du jour. Pour ces choses-là, il faut toujours attendre. Le choix d’un ancien premier ministre libéral au comité stratégique montre que la MMF voit au-delà du gouvernement actuel. Ce qu’elle doit faire en priorité, c’est une sensibilisation intensive. »

L’Union nationale métisse de Saint-Joseph compte-t-elle participer aux négociations? « On est complètement indépendants de la MMF, répond le président Gabriel Dufault, et on ne veut pas toucher à cette question. On prend nos propres décisions. »

Par Jean-Pierre DUBÉ
Collaboration spéciale