La Liberté ÉDITO

Par Jean-Pierre Dubé

@jeanpierre_dube

La Liberté du 2 octobre 2013

À l’origine, l’École Précieux-Sang n’avait pas de gymnase. Les parents ont demandé d’abord poliment puis fermement et la Province a fini par céder. Pour les accommoder, la Norwood School Board a construit un deuxième gymnase dans l’école anglaise du quartier. Il fallait juste sortir les petits francos dehors, monter la rue Kenny et traverser gentiment St. Mary’s Road et voilà!

Qui a payé la note? Vraisemblablement le Programme des langues officielles dans l’enseignement (PLOE) de Patrimoine canadien, fondé en 1970.

Pas étonnant que pour marquer le 25e anniversaire du PLOE, la Commission nationale des parents francophones (CNPF) a mené, après avoir souvent demandé des comptes, une étude pour voir comment étaient répartis et dépensés les transferts aux provinces. Si le consultant Gérard Lécuyer a réussi à esquisser un portrait de la répartition, il s’est cassé les dents sur la colonne des dépenses. Les provinces sont bouche-cousue après le dépôt du chèque fédéral. Aucune n’a collaboré.

Mais l’ancien fonctionnaire d’Éducation Manitoba et ministre provincial de 1983 à 1988 n’a pas plié bagage. Se fondant sur les rapports annuels du Commissariat aux langues officielles (CLO) et de Patrimoine canadien, il a évalué l’aide fédérale à un minimum de cinq milliards $. Il a appris qu’une portion des enveloppes était empochée par les gouvernements comme frais administratifs ou simplement déposée dans les fonds consolidés.

Le consultant a trouvé que, de 1971 à 1988, le Québec avait reçu la part du lion pour sa minorité anglophone : environ 52 % de l’appui aux opérations d’organismes, 57 % des crédits pour les infrastructures et 72 % des fonds destinés aux universités. Yes sir! McGill à Montréal est une université en milieu minoritaire. N’est-ce pas que ça met en perspective l’aide généreuse fournie par le gouvernement du Québec aux communautés francophones durant cette époque!

Lorsque l’étude Où sont passés les milliards $ a été dévoilée en 1996 devant la presse nationale à Ottawa, ses conclusions ont enragé la ministre du Patrimoine qui s’était déplacée pour l’occasion. Mais la libérale Sheila Copps ne pouvait contester les données sommaires de Gérard Lécuyer : elle en savait encore moins que lui. Et après? Les milliards ont continué à couler jusqu’à nos jours.

Le CLO vient de rendre publique un énième rapport sur la reddition de comptes en matière de transferts fédéraux. Il confirme que, sur le périple entre le Conseil du Trésor et le plancher de gymnase, la pratique du système frise le voile intégral. Le mieux que le commissaire Graham Fraser peut faire, c’est de vérifier la mise en place de mécanismes appropriés au sein des ministères.

L’administration fédérale, conservatrice ou libérale, n’a jamais eu d’appétit pour la reddition de compte, en particulier quand ça vient aux minorités chatouilleuses. Il paraît futile, hors de prix et même dangereux de faire une évaluation des résultats et le fonctionnaire lucide ne peut que confirmer son impuissance. Il préfère ne pas regarder.

Tel est le message au subventionné, que ce soit Immigration Manitoba ou le Roasting Maplenut Club : voilà l’enveloppe brune, remplissez gentiment le formulaire de l’Annexe F en fin d’année et merci pour la visite! La colline parlementaire n’est rien d’autre qu’un château construit sur une montagne de boîtes pleines d’évaluations que personne n’a lues.

Si la CNPF a mis deux ans pour ne trouver que de la fumée dans un seul programme, comment le CLO pourrait-il publier un portrait clair sur une multitude d’initiatives dans une dizaine de ministères? Graham Fraser n’en connaît pas beaucoup plus que Gérard Lécuyer mais son discernement dépasse la présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA). Marie-France Kenny s’est permis de discréditer son rapport sans reconnaître les limites de ressources et l’ampleur du défi.

Est-ce qu’il y a un scandale des langues officielles? On ne le saura jamais sans une commission d’enquête, genre Charbonneau, sur l’octroi et l’utilisation des subventions. Que demandent les communautés? La FCFA se trompe de cible. Elle peut contribuer davantage en attirant l’attention sur des cas concrets et stratégiques.