La Liberté ÉDITO

Par Jean-Pierre Dubé

@jeanpierre_dube

La Liberté du 16 octobre 2013

 

Le 4 mars 1870. Le jour même de l’exécution « pour l’exemple » de Thomas Scott par le Gouvernement provisoire de Louis Riel, Ottawa a décidé d’envoyer au Manitoba une expédition militaire. Mission : « rétablir l’ordre ».

Ainsi commence le plus récent ouvrage de l’historienne Jacqueline Blay, Le Temps des outrages 1870-1916, couvrant la période la plus difficile de notre histoire. Twitter n’avait pas été inventé et Ottawa ne savait rien de l’exécution : il n’y avait pas de relation entre les deux évènements.

Celui qui avait maintes fois soulevé la révolte armée contre l’autorité n’est plus. « Immédiatement, rappelle l’auteure, le calme revient à la colonie de la Rivière-Rouge et au fort Garry ». On peut le comprendre : l’orangiste est fusillé au lever du jour devant 150 témoins.

Mais l’expédition du colonel Wolseley n’est pas annulée malgré l’adoption de l’Acte du Manitoba. L’intention a changé : l’Ontario s’enrôle pour capturer Riel et venger la mort de Scott. Les 1 400 troupes arrivent à la colonie les baïonnettes déployées et ne trouvent personne. Une semaine plus tard, Wolseley est rappelé à Ottawa et c’est le désordre qui s’établit.

« Il laisse derrière lui des troupes qui vont tout se permettre, écrit Jacqueline Blay : viols, incendies, rapines, batailles rangées dans les rues, etc., pendant au moins deux ans. » On connaît la suite : pas d’amnistie pour les Métis, peu de terres pour leurs enfants, retrait du bilinguisme et place aux orangistes à la Législature.

Le Manitoba devient invivable pour ses fondateurs. Leur fuite vers l’Ouest ressemble à un exode, rappelle l’historienne : « 10 % des Métis entre 1871 et 1876, 20 % entre 1877 et 1880, et 70 % entre 1881 et 1884 ».

Ce n’est pas une belle histoire, elle fait encore mal. Mais sa lecture s’impose, si l’on veut pénétrer la douleur et la rage couvées depuis ces temps à aujourd’hui. Car il s’agit de cela, on le sent dans la plume justicière de l’auteure. Elle voue cet ouvrage à réhabiliter ces « réfugiés dans leur propre pays », selon l’expression du philosophe John Saul.

Le Temps des outrages complète une année féconde et variée en histoire manitobaine. L’automne 2012 nous a livré l’essai de Raymond Hébert sur la révolution tranquille et le récit journalistique de Bernard Bocquel sur le plus ancien mouvement métis du pays. En 2013 sont arrivés l’étonnante biographique d’Edmond Roy, un jugement de la Cour suprême, les chroniques du 100e de La Liberté et, le 30 septembre, le très attendu Tome 2 du « devoir de mémoire » de Jacqueline Blay.

On dit que l’histoire appartient aux vainqueurs. Que la mémoire des vaincus ne mérite que pleurs et grincement de dents. Tant que demeure la honte exposée par Edmond Roy, notre passé n’est pas enseigné.

Mais l’histoire peut-elle appartenir aussi à ceux qui parviennent à l’écrire? Les Métis et francophones sont-ils en voie de vaincre leurs fantômes? De toute évidence, on a maintenant matière à enseigner. Et ce n’est pas fini.