Il y a quelques semaines, une proposition en trois volets a été déposée pour discussion à l’AGA de la Société franco-manitobaine. Son contenu intrigue, car elle demande la tenue d’États généraux, alors que le dernier exercice de ce type date de 25 ans. Qui est intéressé à ces États généraux, pourquoi et comment? Un tour d’horizon s’impose.

En 1987, après plusieurs faux départs, les États généraux de la francophonie manitobaine débutent et les audiences voient défiler des centaines de personnes raconter, en ville et en campagne, leurs besoins, leurs colères, leurs espoirs, leurs histoires et leurs rêves d’une société francophone au Manitoba.

1987, c’est à peine trois ans après la « crise linguistique » qui, pendant 18 mois, a secoué le Manitoba français, plaqué contre le mur de l’intolérance. Le cœur est gros et les émotions à fleur de peau, mais il y a une longue liste de besoins dont, entre autres, la fameuse gestion scolaire qui se fera attendre encore six ans, l’assimilation galopante ou encore les services en français de la part des gouvernements.

Depuis, la vie quotidienne au Manitoba français a profondément changé : CDEM, AMBM, ANIM, WTC bilingue; en éducation, centres de la petite enfance, DSFM, USB avec en santé tous les programmes de formation et, chapeautant le tout, la Politique des services en langue française. La liste est longue et se décline sur les doigts des deux mains. Alors, pourquoi avec une si longue liste tenir des États généraux à ce point-ci?

Raymonde Gagné et Léo Robert.
Raymonde Gagné et Léo Robert.

Une des membres du panel responsable des audiences de 1987, Raymonde Gagné qui a signé la proposition de 2013 indique : « Parce que l’avenir de la communauté francophone du Manitoba doit de nouveau faire l’objet de discussions collectives, communautaires et inclusives. »

Tous les intervenants contactés s’accordent sur ce besoin qui paraît fondamental parce que, paradoxalement, « la communauté » est structurée. Peut-être trop d’ailleurs, au point d’en avoir perdu son bon sens communautaire : « Il y a beaucoup de silos », selon Gérard Curé, directeur de la Fédération des aînés franco-manitobains. « Cela crée des fractures internes qui ne nous aident pas ». La Fédération va certainement participer à la discussion du 24 octobre : « c’est très important pour notre passé, mais aussi notre avenir ».

Il y a 25 ans, le discours public mentionnait à peine les nouveaux arrivants, leur intégration et leur place au Manitoba français. Là aussi les choses ont changé. Raymond Kazadi, président de l’Amicale de la francophonie multiculturelle du Manitoba, estime qu’il est important que ses membres soient présents, lors des premières discussions : « Comme le dit la proposition, il faut se regarder dans le miroir, faire un état des lieux et choisir les démarches futures, en conséquence des acquis du présent. »

Il y a 25 ans, les jeunes avaient à peine participé au processus : « Nous avions notre démarche qui voulait répondre aux besoins des jeunes, par les jeunes », rappelle Vincent Dureault, à l’époque, directeur du CJP. « Shows sont nous » sera leur réponse annuelle.

Les jeunes participeront-ils cette fois-ci à l’exercice? « Absolument », répondent Justin Johnson, président du CJP et sa directrice Roxane Dupuis. « À 100 %, sinon plus. Non seulement, nous sommes la relève, mais aussi le présent. Nous ne sommes pas une génération, qui profite seulement des acquis ; nous voulons, nous aussi, façonner la communauté de l’avenir ».

Façonner l’avenir, oui, mais comment? Les réponses viennent, en partie, des deux signataires, Léo Robert et Raymonde Gagné : « Un avenir qui nous permette de vivre au Manitoba dans la dignité et le respect personnels ». Léo Robert : « Je refuse un gouvernement qui nous dit comment mettre en œuvre nos programmes. Je refuse un gouvernement qui définit pour nous nos priorités ». Raymonde Gagné : « Avec un plan de développement global pour un Manitoba à notre image et dans lequel nous sommes confortables, comme francophones, sans être à la merci de la politique actuelle, quel que soit le parti au pouvoir ».

Ce plan de développement global aurait dû voir le jour après les États généraux de 1988. Après tout, le processus était bien rôdé et en fonction du contexte : 1916, fondation de l’Association d’éducation des Canadiens Français du Manitoba ; 1968 : fondation de la SFM ; 1994 : fondation de la DSFM et rêve de la gestion scolaire réalisé.

Néanmoins, 20 ans plus tard, les résultats sont insatisfaisants. Il existe un malaise qui pousse certaines personnes à se parler, se concerter, à choisir l’action plutôt que le silence ou l’apathie. Ce malaise est en partie symbolisé par les résultats scolaires, après 20 ans de gestion. Raymond Hébert, rapporteur des audiences des États généraux, note qu’en dépit des plans de 1988, « les jeunes enfants ne savent pas parler français, parce que les écoles de la DSFM sont devenues des écoles d’immersion pour ayants-droit. Or tel n’était pas le but de la gestion scolaire ».

Michel Lagacé, responsable du document de synthèse des États généraux estime, pour sa part, que 1988 n’a « pas donné les résultats escomptés, parce qu’on n’a pas mesuré ce qui a été atteint ou pas et qu’il faut maintenant avoir une idée de la situation actuelle ».

Les propositions déposées pour discussion indiquent que le projet scolaire est la pierre angulaire qui concerne tout le monde, parce que tout le monde commence par là, dans la société. Selon Raymonde Gagné : « L’école, à tous les niveaux, doit outiller et donner les mécanismes qui permettront de vivre pleinement une vie citoyenne engagée ». Et ajoute Léo Robert, « tous les autres domaines, comme l’économie, la santé, les arts et autres arrimeront cette citoyenneté, ce monde moderne ». Et chacun s’entend pour dire que ce projet de société sera identitaire, épanoui et surtout inclusif, dans la dignité et le respect de l’identité collective des francophones du Manitoba, « d’où qu’ils soient, et quels qu’ils soient ».

Les premières démarches de ce processus de renouveau seront donc prises jeudi le 24 octobre lors de l’AGA de la SFM. Bien des conditions semblent réunies pour avancer en cohérence et en harmonie intergénérationnelles, un signe que « la communauté » a atteint l’âge de la maturité.

 

Par Jacqueline BLAY, collaboration spéciale.

Lire aussi :

 

Vu sur Twitter