La Liberté ÉDITO

Par Jean-Pierre Dubé

@jeanpierre_dube

La Liberté du 13 novembre 2013

Quelle langue est la plus sexy? Un sondage mondial auprès de 8 000 voyageurs a révélé en octobre qu’il s’agit du français. Selon les globetrotteurs, sa sensualité domine le côté expressif de l’italien, au 2e rang, et l’accent british, en 3e place.

Quelle contribution fournit la francophonie canadienne à l’indice de charme avec ses couleurs québécoises, acadiennes et franglaises? Les touristes ont-ils le plaisir de savourer le joual, le chiac et le franglais?

Il semble que les répondants de hotels.com n’ont pas entendu beaucoup de français canadien. C’est une conclusion du Rapport annuel 2012-2013 de Commissariat aux langues officielles (CLO), publié le 7 novembre. Selon le commissaire Graham Fraser, « les voyageurs ont de la difficulté à être servis dans la langue officielle de leur choix d’un bout à l’autre du pays ».

Le CLO a effectué 1 792 observations dans huit aéroports internationaux, de Halifax à Vancouver. Les deux aérogares québécoises obtiennent d’excellents points alors que coulent les six autres, dont Winnipeg. Air Canada s’est encore classé bon premier avec 482 plaintes du public.

Le Parlement n’apprécie pas la langue sensuelle, comme le révèle cet incident raconté par Graham Fraser. « La séance d’information des parlementaires sur le projet de loi omnibus C4 était prévue uniquement en anglais. Une députée unilingue francophone s’est plainte, les fonctionnaires ont soulevé des objections, puis un député unilingue anglophone s’est plaint. La séance a finalement été reportée au lendemain. »

Le commissaire martèle l’importance du leadership et constate encore que le fédéral ne priorise pas la dualité linguistique. Il rappelle que ses recommandations de 2011-2012 n’ont pas été bien accueillies par le gouvernement. « Le commissaire n’a reçu aucune réponse officielle » ce qui semble indiquer « que ses recommandations ont été rejetées ».

Le bilinguisme donne des signes d’une industrie à la dérive. Le capitaine Harper a largué le paquebot et agite la main distraitement à partir du quai, laissant le commissaire à bord décrire les icebergs et déclencher les alarmes. Nos parlementaires et organismes font leur possible dans la brume, tandis que le ministère du patrimoine nous défend contre les récifs avec un phare sans lumière. On est chanceux d’avoir l’inspirant Graham Fraser.

On peut aussi s’interroger sur la multiplication d’initiatives qui noient l’essentiel à la progression du français. Une forte pression vient présentement de jeunes parents cherchant des services de garde et des écoles. La demande pour l’éducation française est très insistante, avec des hausses s’élevant à 25 % dans certaines écoles de l’Ouest canadien. La Division scolaire Louis-Riel, par exemple, connaît une demande de la part de nouveaux arrivants qui dépasse les capacités de ses 11 écoles d’immersion. Sexy mais pas une priorité.

Peut-on s’étonner d’assister à la judiciarisation de nos droits, et pas seulement en milieu éducatif? Le CLO a renforcé ce rôle qui lui permet d’actionner les ministères et agences ne répondant pas à leurs obligations. Il déménagera ses bureaux pour joindre d’autres officiers du Parlement : Élections Canada, le Commissariat à la protection de la vie privée et le Commissariat à l’information. Graham Fraser entend renforcer son indépendance et la collaboration entre les officiers, dont les études sont souvent combattues par l’autorité.

On avance ou on recule? Le rapport du CLO documente un combat quotidien sur tous les fronts. « Malgré des signes évidents des progrès et de la force des deux langues officielles, un discours persiste sur leur déclin. »

Comment faire pour que l’avenir du français au Canada soit moins une lutte perpétuelle et davantage un lien naturel? En parlant autrement? En parlant notre langue sans parler tout le temps de notre langue? Ou avec les mains comme les couples exogames et métissés?

Écoutons l’Acadienne Georgette Leblanc : « Ce qui est important, c’est l’émotion, la chair et l’os. La langue, c’est juste un outil; pour moi, ça sert à embrasser. » So French!